Deux semaines, à pied dans le désert mauritanien
Erg-Amatlich et Vallée Blanche
Un vieux rêve, un rêve qui remonte à l'enfance : voir le désert. Je l'ai vu et même arpenté à pied, durant 15 jours avec une caravane de 8 dromadaires et 3 chameliers, un guide mauritanien, un cuisinier et 8 autres marcheurs.
Quitter Paris, son tumulte, ses mauvaises odeurs, son ciel gris, sa publicité outrageuse
et se retrouver 5 à 6 heures plus tard sur le petit aéroport d'Atar.
De Paris à Atar la transition est énorme. On se retrouve brusquement projeté dans un autre monde.
La chaleur est grande en cette fin de janvier. Les gens sont "toucouleur". Les hommes portent le boubou bleu ou blanc et l'indispensable cheich enroulé sur la tête qui les protège du soleil et du vent de sable, les femmes déambulent drapées dans de légers voiles colorés.
Aussitôt débarqué on tente de repérer ses compagnons de voyage et son guide. Quelle cohue dans la petite salle de contrôle ! L'excitation règne parmi tous ces gens pressés par l'aventure. Certains sont là pour un deuxième, troisième, voire quatrième voyage !
Comme je les comprends. J'ai goûté au désert, j'ai attrapé le virus, un virus qui ne se soigne qu'en retournant se plonger périodiquement dans ces espaces quasi vierges, pleins de quelque chose d'indéfinissable qui fait qu'on se sent bien, loin de tout confort, sans le "strict minimum"
De l'eau - pour boire uniquement -, un bol et une cuillère, un briquet, une lampe frontale, des vêtements légers pour la journée, des vêtements plus chauds pour le soir, un bon sac de couchage et de bonnes chaussures de marche.
Et la toilette me direz-vous ? Des lingettes imprégnées de lait de toilette.
Et la vaisselle ? Elle se fait au sable, et ça marche !
Et les sanitaires ? Avant le lever du jour ou à la nuit tombée, au détour d'une dune ou derrière un buisson, comme les chats : un petit creux dans le sable, on recouvre ensuite et avec le briquet, on brûle le papier.
Et la chambre ? La plus belle chambre au monde. La couche y est moelleuse, sans trop, le silence est total, le plafond constellé de lumières. Vous l'aurez deviné, les nuits se passent à la belle étoile.
Quel spectacle ! Les planètes brillent, les étoiles scintillent et filent, les constellations se dessinent. C'est Orion qui s'installe en premier, suivi de près par Cassiopée ; surgissent ensuite Pégase et le Taureau; Aldébaran plus brillante que jamais telle un trophée sur les cornes de l'animal. Plus tard viendront, la Petite Ourse et la grande Ourse et l'étoile polaire se posera comme un point sur un I dans l'infini de la nuit. La longue nuit noire à laisser les yeux errer d'est en ouest le long de la Voie Lactée, pour dénicher les Pléiades, se perdre dans les myriades luisantes où les rêves s'allument et où dit-on les voeux s'accumulent.
C'est quand le petit vent frais de fin de nuit se lève qu'on réalise que le sommeil nous a emporté. La Croix du Sud est là, juste au-dessus de l'horizon.
6 heures. La cuillère tinte sur le bol en acier inoxydable : l'heure du réveil.
La nuit est encore noire, seul le feu allumé par les chameliers éclaire faiblement. Les théières chauffent sur les braises, le pain finit de cuire dans le sable. Un bon pain, une galette toute chaude à déguster au petit déjeuner.
7h : préparation psychologique ! annonce Yahya, notre guide. Déjà il avance en direction de l'immense dune de sable orangé. Le groupe s'étire à sa suite. Les dromadaires nous rejoindront à la pause de midi avec nos bagages, les provisions de bouche et d'eau et quelquefois du bois.
C'est ainsi qu'à raison de 6/7heures de marche par jour nous avons traversé l'Erg-Amatlich. A l'aube du 7ème jour nous surplombons la passe de Tifoujar qui va nous conduire dans la Vallée Blanche.
Croyez-vous, comme j'ai pu le croire, que le sable est blanc dans la Vallée Blanche? Non, ici comme ailleurs les tons de sable sont très variés allant du presque blanc au presque rouge.
La deuxième semaine sera celle des rencontres, des échanges. Nous traverserons des villages perdus au milieu des rocailles où le vent harmattan règne en maître, des villages luttant contre l'assaut des dunes. Des villages qu'il est difficile d'imaginer : des huttes rondes, en branchages, quelques maisons rectangulaires en pierre sur les plateaux rocailleux, certaines avec des portes souvent peintes en bleu. Plantées ici et là, pour quelques mois, les tentes touarègues des derniers nomades. Une seule pièce pour vivre et pour dormir la nuit enroulé dans des tapis ou des couvertures. Le matériel est rudimentaire : calebasses, récipients en fer émaillé, guerba (outre en peau pour conserver l'eau (quand elle n'est pas remplacée par des bidons en plastique)) et l'indispensable nécessaire à thé : réchaud, plateau, théière, petits verres.
Ah ! le thé, la cérémonie du thé ! Successivement trois thés sont servis. "Le premier amer comme la vie, le deuxième doux comme l'amour et le troisième suave comme la mort." Le thé, nous le retrouverons chaque jour et plusieurs fois par jour, préparé par nos chameliers mais proposé aussi par les gens que nous croisons le long de notre route. L'accueil ici en Mauritanie est simple et chaleureux. Les étrangers sont les bienvenus. C'est l'occasion d'échanger quelques mots en français.
Bien que les mauritaniens parlent différents dialectes, l'arabe et le français sont les langues officielles et les enfants apprennent ces deux langages à l'école.
Les enfants ? Des troupes d'enfants nous entourent dans la traversée des villages. Bien sûr ils sont en quête de cadeaux (bonbons, stylos, cahiers, chaussettes) mais ils sont aussi fiers de déclamer les chansons du folklore français. Quels sens ont pour eux "ces colchiques dans les prés, ces feuilles d'automne, ces châtaignes dans les bois, ces nuages qui s'étirent
" si ce n'est que "ce chant dans leur cur (et dans le nôtre) murmure le bonheur"
Du bonheur, les mauritaniens en ont eu à l'automne et du malheur aussi car, après cinq ans sans une goutte d'eau il a plu, mais il a trop plu d'un seul coup. Des flaques subsistent encore au creux des dunes et dans les boucles des oueds. L'eau est haute dans les puits; les pompes sont presque inutiles pour monter l'eau nécessaire à l'arrosage des carrés de carottes, betteraves, navets, orge, menthe nichés au cur des palmeraies.
Ailleurs, l'eau et le soleil ont réveillé les graines endormies sous le sable; si bien que l'étendue de l'erg et des plateaux rocailleux qui forment le reg, sont émaillés d'une végétation diverse et colorée : petites plantes rampantes et odorantes, hellébores géantes, acacias, jujubiers, mimosas, tamaris, balanites; la plupart pourvus d'épines menaçantes.
Les nomades ont jeté leurs graines de mil et surveillent la maturité des pastèques. Ces gros melons blancs gorgés d'eau leur fournissent des graines qui, séchées et écrasées, donneront une farine nourrissante.
Il y aurait encore tant de choses à dire, tant d'émerveillements à conter
Combien de kilomètres me demandez-vous? Je ne sais pas, ici les distances se comptent en heures, en jours. L'espace et le temps ne font qu'un et se fondent en bonheur.
Un bonheur si grand que si j'osais, je retournerais déjà en Mauritanie, pour goûter au lait caillé de chèvre, délicieusement sucré et parfumé aux herbes sauvages, pour déguster les dattes au goût de caramel, pour me tremper dans la guelta (source d'eau chaude), pour me rouler dans ce sable fin comme de la farine, pour rêvasser à l'ombre des acacias, pour rencontrer la Terre, le Ciel et cette chose d'indéfinissable qui remplit le désert.
En écrivant cela je ne peux m'empêcher de penser à ce proverbe touareg : "Dieu a créé des pays pleins d'eau, pour y vivre et des déserts pour que les hommes y découvrent leur âme"
Mireille le 11/02/2004 pour Le Soleil de Québec
Ce texte est paru le 6 mars 2004 dans le cahier voyages du journal Le Soleil de Québec;
sous le titre "La piqûre du désert".
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Dans le désert
Comme un ours je suis partie m'enfermer loin d'ici, dans un décor qui n'a rien d'une caverne, dont le toit est parsemé de milliards de lumières.
Les planètes brillent, les étoiles scintillent et filent, les constellations se dessinent.
C'est Orion qui s'installe en premier, suivi de près par Cassiopée. Surgissent ensuite Pégase et le taureau; Aldébaran plus brillante que jamais telle un trophée sur les cornes de l'animal.
Plus tard viendront, la Petite Ourse et la grande Ourse et l'étoile polaire se posera comme un point sur un I dans l'infini de la nuit.
La longue nuit noire à laisser les yeux errer d'est en ouest le long de la Voie Lactée, pour dénicher les Pléiades, se perdre dans les myriades luisantes où les rêves s'allument et où dit-on les voeux s'accumulent.
C'est quand le petit vent frais de fin de nuit se lève qu'on réalise que le sommeil nous a emporté. La Croix du Sud est là juste au-dessus de l'horizon.
Le ciel a basculé, déjà une pâle lueur rose teinte l'orient.
Les hommes ont allumé le feu, les théières chauffent sur les braises, le pain cuit dans le sable. Des murmures s'élèvent, c'est l'heure de la prière.
Je m'extirpe de mon nid douillet, pour braver le froid matinal. Il fait encore très sombre et l'on peut sans impudeur oser une toilette succincte. Point d'eau dans ce coin de Terre, un linge humide suffit à retirer le sable-farine et à réhydrater la peau.
Pourtant le désert est humide cette année. Il a tellement plu à l'automne. Des mares subsistent aux pieds des dunes et dans les boucles de l'oued. Il suffit de creuser quelques centimètres pour atteindre la couche mouillée. Bien pratique pour laver sa gamelle !
De l'eau et voilà les espèces végétales qui s'épanouissent et s'empressent de fleurir.
Les jusquiames jaunes, les bisap dont les fleurs blanches deviennent le jour même de magnifiques fruits rouges, les hellébores aux inflorescences pourpres. Les rampantes bleues et les coloquintes jaunes s'étirent sur le sable. Les mimosas, les acacias, les jujubiers, les tamaris, les balanites dressent leurs piquants. Tous fêtent en couleur le printemps, fin janvier.
A moins de vouloir se transformer en porc-épic, il est inutile d'espérer faire un bouquet. Les épines menaçantes veillent. Les imprudents criquets, mus par leur voracité, viennent s'empaler par centaines sur ces tiges acérées.
Cependant, dans la fraîcheur de la palmeraie les tendres pousses de carottes, navets, betteraves, menthe poussent à loisir. Les jardiniers de l'impossible font des miracles à force de puiser l'eau dans ces puits à peine creusés déjà ensablés.
Non vraiment il faut être un dromadaire, une chèvre ou un mouton pour s'aventurer dans les buissons épineux. Regardez-les se régaler. Les chèvres campées sur leurs pattes arrières, les pattes avant en appui sur les branches. Les chameaux le cou étiré vers le sommet des arbustes. Les mâchoires vont bon train, bruyamment, comme pour accentuer le plaisir.
Profite bien de ce repas petit mouton noir, tes heures sont comptées. Un esprit, un djinn peut-être, est venu me souffler pendant mon sommeil... à moins que ce soit Yahya, le conteur.... Qu'importe, régale-toi petit mouton noir, jusqu'à demain inch'Allah !
Mireille 6/02/2004
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Grande frayeur pour grand festin,
Imaginez du sable à perte de vue au pied d'un plateau aride à droite, d'immenses dunes infranchissables à gauche, et au fond, là où la passe s'élargit en une vaste cuvette plate, quelques acacias raddiana, un balanites aegyptiaca, tous munis de puissantes épines et de minuscules feuilles. Un piteux garde-manger, un bien maigre repas en perspective même pour un dromadaire. Alors quand Jemel découvre un gros buisson vert, bien gras, un genêt à longues tiges tendres gorgées de sève, il ne peut résister. Malgré lui, ses mâchoires se mettent en mouvement, ses pattes avant entravées s'agitent et c'est à petits pas saccadés qu'il arrive tant bien que mal devant ce mets rare dans le désert.
Elle avait soigneusement choisi son emplacement pour la nuit. Le pied de la dune ne l'emballait pas. Certes, l'endroit la mettait à l'abri du vent. Cependant, elle savait que le vent tomberait avant même l'apparition de la Petite Ourse. Elle savait aussi qu'il se réveillerait en fin de nuit pour souffler dans une autre direction. De plus, le vent balayait le sommet de la dune. Le sable volait là-haut sur la crête. Un sable fin comme de la poudre. Qui sait si ce sable n'allait pas l'ensevelir pendant son sommeil ? Non décidément elle préférait s'isoler sur l'autre côté. Un amas de roches l'abritera d'un probable vent d'ouest, son sac à dos d'un éventuel vent du nord. Il y avait peu de chance qu'Eole arrive par le sud. Et puis il lui restait la possibilité de se calfeutrer entièrement dans son sac de couchage.
Jemel, le jeune dromadaire blanc, se transforma en machine à dévorer. Ses puissantes mâchoires trituraient, déchiquetaient, cisaillaient, arrachaient. Ses dents s'entrechoquaient. Sa langue claquait. Ses naseaux laissaient échapper de gros ronflements de satisfaction. Des gargouillis s'élevaient dans la nuit en hommage au merveilleux festin.
A quelques mètres de là, la dormeuse s'agitait. Son rêve était peuplé d'horribles monstres affamés, de troupes de guerriers faisant bombance, réduisant la terre en d'infertiles déserts. Un cri s'éleva, faisant tressaillir les étoiles et crisser le sable.
Sans cesser de mâchonner, Jemel jeta un coup d'il dédaigneux vers cette chose mugissante allongée sur le sol. Il connaissait bien cette espèce d'homuncule et il s'en méfiait. N'était-ce pas à cause de ses semblables qu'il se trouvait entravé, tiré par une corde passée au travers de ses naseaux, obligé de s'accroupir, de transporter de lourdes charges. Et qu'avait-il en échange ? Rien, pas même une boulette de couscous. Il devait se débrouiller pour boire et manger. Il en avait ras la bosse et des idées commençaient à germer dans sa petite cervelle :
"Cette tête, sous mes coussinets, serait plus douce que les pierres tranchantes du reg. On y voit si mal la nuit, un accident est si vite arrivé."
Le cauchemar s'estompa, les monstres disparurent, la dormeuse entrouvrit les yeux. Stupeur ! A deux mètres de là, presque au-dessus d'elle, le chameau blanc, l'indomptable ! C'est grand un chameau, mais quand on est allongé sur le sol, c'est immense, énorme, avec des pattes qui n'en finissent pas de monter. Et lorsqu'on parvient au flanc, il reste encore le long cou. A la lueur des astres elle aperçoit la petite tête fouisseuse, au milieu du genêt, la bouche affamée et l'oeil éteint de la bête.
Que faire ? déguerpir dans le froid, dans le sable jonché d'épines d'acacia ! Et les scorpions, et les vipères ! Non trop dangereux. Elle ferma les yeux priant le ciel de la préserver d'une mort atroce. Elle n'entendit pas la pierre basculer, les cailloux rouler.
Si elle bouge, je charge, pensait Jemel tout en s'éloignant du buisson. Je ne prendrai pas le risque de finir enterré au pied d'un acacia, au fond de cette passe perdue, comme mon frère, celui que cet autre homuncule a exhumé hier soir du bout de ses longues griffes.
Comblé par ce festin providentiel, il s'installa non loin de là pour ruminer à son aise, laissant échapper à chaque pensée une cascade de ventosité.
Alors que le ciel commençait à rosir au-dessus de la grande dune, une odeur épouvantable réveilla la rescapée. Jemel l'avait épargnée mais les pierres supposées arrêter le vent d'ouest se sont avérées une barrière inefficace contre les vents digestifs !
Mireille 20/02/2004
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