1. Comment fabriquer un individu parfait
  2. L'arche de la folie
  3. Il n'y a pas de petit incendie
  4. Mes voisins, les voisins de mes voisins...
  5. Claire Himberelle
  6. Des hommes
  7. Le sauvage

 

Est meilleur que perle et corail, le geste que l'homme dédie à l'homme. ( Al. Habbab )
       
 


Comment fabriquer un individu parfait

   

Prenez un individu moyen;
débarrassez-le soigneusement de sa cruauté.
Séparez d'une part son amour et sa beauté
d'autre part son désespoir auquel vous ajouterez une quantité égale d'espérance;
saupoudrez à volonté de fraternité,
laissez macérer. 

Reprenez l'amour et la beauté
ajoutez une pincée de joie, autant de gravité, un soupçon d'irréalité;
ne dépassez pas la dose ce serait l'horreur, le K-O, le chaos.

Mélangez les deux préparations très délicatement afin d'éviter les quiproquos.
Si cependant, un trouble apparaissait, ne vous laissez pas aller à la résignation:
à l'aide d'un grand salut, ôtez les débris de xénophobie.

Prenez un néant bordé de mort et de peur,
enduisez-le de liberté.
Versez ensuite le mélange obtenu,
badigeonnez avec quelques gouttes d'onirisme.

Placez le tout dans une douce universalité
laissez mijoter jusqu'au premier vertige;
N'attendez pas le début des phobies.

Décorez avec quelques pensées d'Elie Wiesel.

Et si l'envie vous en dit, recommencez.

© Mireille 1992

 

 


L'arche de la folie

Inspiré par "la Nef des fous", tableau de Jérôme Bosch

La sentence est tombée, ces hommes et ces femmes attirent le malheur. Catastrophes, calamités, épidémies ont assez duré. Il faut conjurer le mauvais sort et punir les coupables. Hors de notre vue, de nos villes de nos villages, remettons-les entre les mains de Dieu, il saura, Lui, trouver le châtiment mérité.

Ils quittèrent père et mère sous des tempêtes de pierre, des ouragans d'injures. Jetés comme on jette à l'égout ce dont on ne veut plus. Condamnés à l'exil, ils se laissent emporter avec humilité sur un rafiot garni de graines de folie.

Interdits de port, sans asile ni attache, condamnés à errer sur des fleuves putrides, aux odeurs de vermine, à l'haleine fétide.

Repoussés par les gens, poussés par les vents,
Le cap sur n'importe où et sur n'importe quoi
Le courant est leur maître, le vent est leur Seigneur
Ils se donnent au soleil, s'abandonnent à la lune

Nul capitaine à bord, chacun est gouvernail
La barre de fortune détourne la misère
Le mât est de cocagne où ils aiment grimper, pêcher dans le feuillage des trésors bien cachés.
Pas de voiles, mais des feuillures. Le vent aime chanter dans les branchures
Une pagaie à pot pour touiller le breuvage
Le grappin n'attache plus, il a tiré le poisson d'or
Ils ont fait de leur coquille une arche de félicité. Chouette à bord!
Et flotte le pavillon!

A bord c'est la fête, on mange, on se lave, on boit, on chante. On vit. Chacun entonne, quand résonne le luth, un chant de louanges au Dieu qui vient bénir leur maigre subsistance. Amulettes, marottes, clochettes, autant de talismans pour piéger le mal auquel ils ne croient pas. Hérésie!

Mais Dieu ne châtie point ses enfants demeurés.

Ils longent les terres à plus d'un jet de pierres et de crachats, à l'écart des coups de bâtons et des rejets d'âme noire, hors d'atteinte des rires, des sarcasmes et des quolibets.

Ils écoutent les poissons, jouent avec les sirènes, se prennent pour Colomb et autres conquérants.

Eternels voyageurs dans la mer des nuages suivent le soir venu quelque traînée de brume vers le chemin de poussières d'étoiles que l'on appelle voie dans la voûte bleu nuit.

Leurs yeux grands ouverts ne clignent plus quand ils cherchent en vain leur route dans les cieux en suivant les contours qui mènent au Lion ou à la croix du Sud, ou encore à Orion où Bételgeuse les guide pour aller accrocher un sourire aux cornes du Taureau. Tandis que la belle Cassiopée attend une larme à ses pieds.

Des projets futiles habitent leur tête
Des crabes voraces dévorent leur mémoire
Simples d'esprit, navigateurs heureux, bien partout où on les pose.
Visages grimaçants ou bien faces hilares, ils s'amusent de tout et un rien les effraie.
L'arc-en-ciel les ravit, à la comète ils sourient, la lune est leur amie, les myriades stellaires les transportent au ciel où l'étoile du Nord veille.

Tout est bon pour se nourrir : ils s'enivrent de vin d'algue et d'écumes de vase, ils broutent le varech, consomment les restes de créatures abandonnés au courant.

Et lorsque repus ils s'endorment c'est dans un grand trou noir qu'ils sombrent. Sans rêves, sans délires. Ils ressortent au matin avec l'oubli de l'aujourd'hui.

Jamais ne reviendront sur la terre, elle ne leur était pas promise. Ils finiront tous après avoir joué au bouchon dansant entre deux eaux par rejoindre les autres vomissures, dans les profondeurs insondables, comme de simples déchets, excréments de la bêtise humaine.

Voués à errer, la mer était leur refuge, le fond des océans est leur port de débarquement.

Fin fatale.

© Mireille 10 mai 2002

 

 


"Il n'y a pas de petit incendie"*

Il s'est éteint. Au même instant un grand incendie s'élevait au-dessus de la ville.

Ses mots, tous ses mots récoltés durant ses longues années de vie s'enflammaient entraînant à leur suite un chapelet d'images. Il y avait là hyènes, crocodiles, singes, chauve-souris, marabouts, lions, tous animaux d'Afrique. Il y avait aussi les hommes, l'ensemble du peuple Peul venu du côté où le soleil se lève, à l'autre bout du continent. Les cendres parviendront-elles à relier le lointain royaume de la reine de Saba et l'ancien empire Macina, dans la boucle du Niger ?
Les sables ont recouvert les pâturages, le soleil a tout grillé.
Et l'eau ?
Juste quelques larmes salées pour pleurer.

Il est mort.

Durant sa longue vie il a engrangé tout un savoir récolté à l'ombre du baobab. Tant d'histoires colportées, de palabres maintes fois rabâchées : maximes, morales, règles de vie, initiation, éducation. Rien n'est laissé au hasard, chaque chose à son explication, son éclairage.
Sa mémoire, un grenier de symboles et d'images unies afin de souligner les défauts des uns et les qualités des autres.
Il a apprivoisé les mots, élevé les pensées, conduit un train de réflexions.
Le XXe siècle allait vite, très vite, rien de pouvait arrêter cette marche effrénée qui balayait les traditions, brisait l'oralité.
Alors il a posé sur le papier ses mots, les contes, les messages des anciens, ses souvenirs, et bien plus encore.

Aujourd'hui le vieillard n'est plus, mais Amkoullel, l'enfant peul*, l'enfant de Bandiagara, est toujours vivant, ses livres garnissent les rayonnages des bibliothèques, pas seulement au Mali, en France aussi, dans le Monde entier, peut-être.

Celui qui s'est écrié haut et fort, à la tribune de l'UNESCO « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » a eu raison du grand incendie.

* Amadou Hampâté Bâ

© Mireille le 17 juin 2007

 

 


Mes voisins, les voisins de mes voisins...

Ils sont là tout près, cloisonnés, emmurés, effrayés, cadenassés... de peur que l'amitié vienne les déranger.

Ils vivent dans un monde étriqué
Enlisés dans la solitude
N'imaginant même pas effleurer
D'un regard, la main d'un voisin
Confinés dans l'inquiétude
Branchés sur le silence
Leurs mots se sont tus
Les rires perdus

La lune peut briller
Leurs yeux de glace ne voient plus
Les abeilles ont fui
Et les oiseaux aussi
A quoi bon rester
Puisqu'ils n' écoutent plus
C'est à peine s'ils entendent la vie
Courir dans leurs veines
Juste assez pour avoir peur
Et bien vite fermer le soupirail de leur coeur

Dans leur monde hermétique
Repliés dans un mouchoir de poche
Au bout d'un escalier
Dans un recoin de palier
Verrouillés derrière leurs portes blindées
Ils ressassent l'effroi posé sur les fils de la télé
Sur les ondes de la radio
Sur les lignes du journal
Pourtant ils rêvent la nuit
De prairies étoilés et de pétales en pluie
De leurs voisins dont ils seront amis
Et de musiques sympathiques
Et de sourires...

Mais le matin réveille les habitudes
Mornes platitudes
Des voisins sont partis
Sans un mot, sans un geste
Même pas un regard à travers les persiennes
A quoi bon pensaient-ils
Puisqu'ils ont la télé, la radio, le journal ?

C'est un monde étriqué
Un monde figé, glacé
Un monde sans...
Un monde avec...

© Mireille 18/02/2003

 

 


Claire Himberelle

Sur le papier glacé, blancheur immaculée
Quelques traces de vie, "Entre l'hiver, l'été"
Impressions, inspirations,
Des bouts de coeur, quelques frissons,
Mystères
que Claire Himberelle notait jour après jour tout au long de ces escapades en solitaire.

" Le vent glacé enveloppe mon corps
Le froid emprisonne l'essence de ma vie
A l'abri du gel, comme dans un igloo, mon âme se libère de toutes contraintes
Elle s'abandonne dans une douce euphorie
Fous rires, pleurs et ris moqueurs
La grisent et l'étourdissent
Elle clarifie ses rancoeurs
Blanchit ses noirceurs
Epoussette son ivresse excessive
Turpitudes, humiliations, remords sont balayés
Jetés aux vents, emportés."

C'était sa retraite, son souffle vital, entre saison d'hiver et saison d'été.
Elle revenait apaisée, sereine, prête à affronter ses nouvelles missions.

Cette année, la montagne l'a gardée.

Elle brillera à tout jamais avec l'éclat des cristaux de roche,
Les ricochets du soleil sur les arêtes du sérac
L'eau de fonte qui sourd sous la langue du névé.
Elle, qui connaissait chaque piège, chaque danger
Elle, qui savait captiver l'indifférence
Elle, tant éprise de liberté
S'est laissée capturer par la gueule du glacier.


© Mireille avril 2003

 

 


Des hommes


Il y a les hommes au regard blessant
Sur les lèvres un sourire arrogant
Qui marchent avec insolence
Un brin d'audace dans les hanches

Leurs yeux déshabillent les filles
leur bouche gourmande rêve
de butiner et de croquer
ces tendres brebis

Ils se pavanent sur les plages
En dérouillant leurs omoplates
Ils promènent leurs mécaniques
Gros cubes sur béquilles
Cylindres en V décapotable

Amour tendresse impertinence ?

Il y a aussi les goujats
Gros rires et rires gras
Pour des récits de conquêtes
Des blagues de braguette
Des exploits de buvette
Et délires de fumette

Leurs mots grossiers pour les pédés
mots méprisants pour les pétasses
mots dégoûtants pour les salopes

Il y a les exaltés qui se croient Dieu du stade
Qui voudraient mettre le feu et soulever les foules
Ils savent hurler, ce sont des hommes
Dicter leurs lois, ce sont des rois

Passion, ardeur, violence

Sont pas des dégonflés les hommes
Savent faire preuve d' agressivité
C'est qu'ils en ont dans la culotte
Et même parfois jusqu'à la gorge

Virilité Courage élan

Il y a les tendres forçats enchaînés
Sous la chemise ouverte on lit
à l'encre bleue indélébile
un cœur percé sur la poitrine
flèche brisée maman je t'aime

Ils aiment les femmes au fourneau
au turbin
Et les minettes à gigolo
dans les coins

Ils ont en permanence
L'épouse-mère-amante
et des amours intermittentes
Histoire de chasser l'ennui
Ils vont chasser la nuit

Don Juan à la p'tite semaine
Casanova au coup par coup
En bout de nuit un bout de lit
Dispose et puis disparais
Abandonnant les draps froissés

Empressement emballement cruauté

Et puis il y a tous les autres... les hommes que j'aime :-)


© Mireille 12/04/2004

 

 


Le s
auvage


A quoi ressemble un sauvage ?
Cheveux longs en broussaille
Le visage mangé par une barbe folle
Le regard délavé tournant le dos au monde
Repoussant la vie
Vivant au jour le jour
Sans amour
Traînant sa peine de port en port
D'attache en lassitude
S'aventurant sur des chemins
Sa misère en bandoulière
Vers une mort certaine
En solitaire

© Mireille 5/10/2005

 

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