La mémoire ne filme pas, la mémoire photographie. (Milan Kundera)

Je garde en mémoire ces instants qui ont marqué ma vie Et me la font apprécier doublement depuis. (Shurik'N)

 

   

 
Hommage à Félix Leclerc

 

Des souliers, il y en a tant et plus
déposés sur sa tombe
dans son petit coin d'île
où désormais il repose
au milieu de ses souliers

Des souliers éculés, percés, déformés
des baskets sans languette
des bottillons sans talon
des talons sans aiguilles
des chaussures sans doublure
des babouches sans bout
des souliers tout crottés
des pantoufles essoufflées
des chaussons sans cordon
des nu-pieds de va-nu-pieds
des sandales du Mont-Royal
des vieilles pompes de Terre-Neuve
des godillots d'Ontario
des claques de Tadoussac
des tongs de Chinatown
des godasses à une piasse
des grolles à Trois-Pistoles
des bateaux venus du Brunswick Nouveau
des mules aperçues à Hull
des galoches pour passer les Appalaches
des mocassins qui ont usé les chemins
des savates qui ont couru les régates
des spartiates de pirates
des bottes de cocotte
des sabots taillés dans le bouleau
des bottines sorties des vitrines de Sainte-Catherine
des tennis venues de Nice
et des tatanes de Cannes
des espadrilles de Séville
des escarpins européens
des brodequins américains
des Louis XV...

Non! Là c'est une autre paire... de manches. Louer un roi qui a lâchement abandonné la Nouvelle-France à son froid blanc au profit des saveurs chaudes et colorées des Antilles.

Mieux vaut ne pas réveiller les vieilles misères, pour des histoires d'écrase-merde, tout cela finirait mal.

 

© Mireille 19/10/2002


 


Des souvenirs à la fenêtre

Vingt ans bientôt que je n'avais plus posé les pieds dans cette chambre.
Ma chambre
Elle a perdu les odeurs de mon enfance.
Elle a perdu sa tapisserie à fleurs, sa grande armoire, ses tomettes.
Les barreaux de la fenêtre ont été sciés. Je les avais déjà supprimés quand il avait fallu dessiner la vue par la fenêtre.
C'était il y a bien longtemps...


Raymond, pieds nus dans le tombereau, plante la fourche dans les grappes encore gorgées de soleil et d'un coup de reins énergique verse le contenu dans le fouloir. Dans un bruit assourdissant, les gros rouleaux à engrenages dévorent le raisin. Le jus est emporté dans les foudres, les déchets finiront de s'égoutter dans les pressoirs. A chaque tour de vis, un liquide vineux, acre s'écoule.

Raymond a perdu de la hauteur, ses pieds touchent le fond du tombereau. Il a troqué sa fourche contre une pelle. Aucun grain ne doit être perdu, pas même le jus.

Et hop, il lui reste encore de l'énergie pour sauter par-dessus bord.
Un coup de jet sur les jambes, sur la tête, une gorgée d'eau et déjà une nouvelle charrette se présente
Il fait chaud, malgré le courant d'air qui coulisse sous le hangar. La sueur colle à la peau, au tricot de corps, se mélange au moût sucré, à la poussière, à la peau des grains éclatés, aux débris de feuille. Des traînées lie-de-vin serpentent sur les bras, les jambes, maculent le visage des travailleurs.
Odeurs chaudes, acres, odeurs sucrées, odeurs des chevaux, odeurs des vendanges.

Sous sa capeline vieux rose, c'est mamé. Elle s'est arrêtée près de la bascule.
- "Alors Monsieur Roux, la récolte sera bonne cette année? Et le degré?"
Je l'entends d'ici; elle est si sourde qu'elle crie à tue-tête pour se faire entendre.
Elle vient souvent dans la cour de la cave coopérative pendant les vendanges pour faire provision d'engrais. C'est qu'ils aiment le crottin de cheval ses géraniums!

Le marc a fini de sécher dans les pressoirs alignés au soleil. Les énormes galettes vinasses sont constellées de pépins. Caquètements joyeux, les poules accourent; leurs pattes s'activent à la recherche de friandises.

Tii! Tiii! Tiiiii! Ma mère appelle les volailles, une poignée de blé jetée à la volée, bien refermer la porte du poulailler, la nuit va bientôt tomber.


© Mireille 12 juin 2003


 


Etre et avoir été

Choisir un souvenir, là maintenant ?
Quelques secondes au milieu de milliards de secondes
Une aiguille dans une meule de foin
Impossible
Je le regretterai aussitôt
J'entends déjà la petite voix : "j'aurais dû..."
Un seul souvenir qui passe et repasse, on s'en lasse
Les plus belles choses deviennent rengaines
L'éternité c'est long
Un seul souvenir rabâché, voilà l'idée fixe, l'obsession
Avec le temps l'usure et la torture
Le doux souvenir devient blessure
Non, j'abandonne mes souvenirs ici
Chacun fera ce qu'il voudra
Les conserver ou les jeter à la volée avec mes cendres
Ils subsisteront d'eux mêmes
Ils iront enrichir l'imagination des uns et des autres
Les souvenirs ne se perdent jamais
Il y a toujours quelqu'un pour s'en occuper
Un poète pour les cultiver, les embellir, les mettre au goût du jour
Ce que je voudrais emporter n'a pas de nom
Les vivants n'en ont pas conscience
C'est une sorte de sixième sens
Quelque chose qui a le pouvoir d'émouvoir
De réveiller une situation imprécise
Une mémoire amnésique, une mémoire intermittente
Des impulsions d'émois
Un état de malaise
Une sorte de vertige
Où l'incompréhensible devient perceptible
Le perceptible incompréhensible
Le sentiment fugitif d'avoir déjà vécu cela
Un souffle tiède
Un frisson de musique
Un instant de lumière
Une goutte de sel
Un visage qui s'efface
Un rayon parfumé
Le malaise devient tourbillon
L' impression d'être aspiré dans du coton
Prisonnier d'un doux cocon qui se resserre jusqu'à l'oppression
Le sentiment d'être tout près de comprendre
Prêt à saisir le fil qui conduit hors de l'illusion
Pour se réveiller entre deux états : être et avoir été.
Comme la dernière fois, je souhaite emporter cette chose sans nom
Capable d'éveiller des sensations
De diffuser des bribes de souvenirs
Des bouts de mémoire
Des traces d'émois

© Mireille 9/11/02


 


Souvenir


J'ouvre la fenêtre et je soupire.
Combien de temps cela fait-il depuis son départ?
C'était l'automne comme aujourd'hui.

" De la pluie, encore de la pluie" soupirais-tu à la fenêtre en regardant les grosses gouttes qui tissaient un rideau que tu voulais déchirer. Impossible de distinguer quelque chose parmi ce voile grisâtre, humide et froid. Un voile comme celui qui cachait ton âme, emprisonnait ta vie, tes élans, tes désirs.
Tu disais vouloir partir. Une force te retenait. Pauvresse, tu allais à la dérive.
Les larmes dévastaient ton visage. Des pleurs encore des pleurs
Et puis ce jour est arrivé comme un rayon de soleil en plein automne.

C'est ainsi que sa vie changea.

Tout était prétexte à partir et elle partait.
Elle s'installait silencieuse devant la cheminée, ses yeux, dans le vague, reflétaient la vivacité de la flamme, son esprit s'envolait en volutes pétillantes et luisantes, elle passait des heures à regarder et écouter la flamme lui raconter la brûlure du monde.
D'autres fois, elle s'asseyait à la table, la tête entre ses deux mains, le regard rivé sur une miette restée accrochée dans une fente du bois. Elle refaisait le chemin jusqu'à la terre, cette terre qui creusait inlassablement de profonds sillons noirs sur son coeur.
Et puis un jour, une bourrasque un peu trop forte, un peu trop glacée, un peu trop bruyante l'a emportée. Elle est partie dans un tourbillon de poussières.
Depuis, chaque fois qu'il pleut, j'ouvre la fenêtre. Je sais qu'elle est là, dans chaque goutte de pluie. Et je reste là à la respirer, m'en imprégner, la retrouver.

Ce soir j'attends une nouvelle rencontre. Déjà l'odeur de terre mouillée monte du sol. La nuit sera longue et froide. Qu'importe!
Le vent transporte les premiers grains glacés, cinglants. Les peupliers courbent leurs silhouettes sombres, les nuages glissent à vive allure et s'accumulent contre les collines, la lune apparaît, disparaît, un éclair blanc zèbre l'horizon, le tonnerre gronde, c'est le signal, le rideau tombe.


© Mireille 7/12/2002


 

Le philtre d'amour

Elle faisait cela avec amour.
Elle, c'est mamé. Mamé Marguerite. Ses cheveux blancs, ondulés, ramenés souplement sur le haut du crâne comme au temps de sa jeunesse dégageaient un visage rond et hâlé. Sa peau était douce, son caractère aussi, sauf lorsqu'elle criait après papé la liste des commissions. Il faut dire qu'elle avait perdu l'ouïe suite à une fièvre contractée avant la guerre. La Grande Guerre, celle qui a duré tant et tant et qui a décimé toute une génération de jeunes gens dans les deux camps. Etait-ce la raison de sa tenue stricte ? Ou bien ses longues années de pensionnat ? Peut-être tout simplement les usages de l'époque. Elle portait une longue robe noire boutonnée jusqu'au dernier bouton, sous le menton, un tablier gris à petites fleurs blanches, des bas et des chaussures fermées toute l'année. Elle ne sortait jamais sans son chapeau à voilette et son châle. Sauf l'été où elle se prémunissait du soleil avec une coiffe très spéciale qu'elle appelait capeline et qui n'avait de capeline que le nom. C'était une sacrée petite bonne femme. Je l'ai connue déjà vieille, comme on pouvait l'être en ce temps-là passé soixante ans. Elle avait dû être belle, il lui restait de sa jeunesse une taille fine, une lumière pétillante dans les yeux et son goût pour chiner les uns et les autres. On riait quand elle nous disait entendre les cloches et on se demandait par quelle magie elle arrivait à lire sur nos lèvres, nous qui commencions à peine à déchiffrer dans les livres.
Elle faisait cela avec amour et application aussi. Un vraie cérémonie. C'était… Comme si c'était hier… Maintenant.

Le moulin coincé entre les genoux, tu tournes la manivelle longuement, patiemment, jusqu'à ce que les grains tombent en poudre fine dans le tiroir en bois. Parfois je te remplace, et chaque fois, je me pince la paume avec la poignée.
Tu verses le café moulu dans le filtre. On dirait une chaussette de papé ! Et hop sur la cafetière émaillée.
Posée sur le poêle à charbon, la bouilloire en aluminium cabossée gargouille, la vapeur s'échappe de son bec, signe que l'eau vient d'entrer en ébullition.
Prudemment, tu verses de l'eau chaude sur le filtre, pas trop, juste ce qu'il faut pour laisser gonfler le café.
Peu à peu tu rajoutes de l'eau, le café s'écoule lentement. Parfois tu tapes contre le métal avec la lame d'un couteau pour faire accélérer les choses. L'odeur qui s'échappe, l'écume qui se forme te rendent impatiente.
Il est quatre heures, le café noir fumant est versé dans la tasse, tu le dégustes à petites gorgées tandis que je savoure une soucoupe de raisiné.

Mamé, j'ai gardé cette photo où tu bois ton café, la soutasse d'une main, la tasse dans l'autre avec le petit doigt levé, et ce sourire malicieux qui t'est propre et le charme qui se dégage. Oui ton café était un philtre d'amour, je me suis laissé envoûter par ce breuvage.


© Mireille le 20 juin 2007


 


Lettre de Craonne

 

Il suffit que les parents disparaissent pour retrouver toutes ces choses oubliées. Le bureau de mon père faisait partie de ces meubles intouchables, de ces fourre tout. Quand j'ai basculé la planche du pupitre, un fatras de paperasses faillit m'engloutir. De même, les tiroirs regorgeaient de mille choses.
Carnets de comptes, diplômes, cahiers de condoléances, photos éparses, vieilles cartes Michelin, bulletins scolaires, bouts de crayon, stylos à pompe, bouteilles d'encre sèche, porte-plumes. L'inventaire reste à faire. Une vraie caverne d'Ali Baba, un souk, un bric-à-brac de souvenirs que j'étais prête à éplucher.Et puis il y avait ce dictionnaire tant de fois consulté pour parvenir au bout de mots croisés ardus.
J'aimais la première page de chaque lettre. C'est à qui établirait le plus vite, la liste des objets, personnages, animaux et fleurs qui figuraient comme illustration de la nouvelle lettre. J'ai oublié le nom du jeu.
Il y avait aussi le jeu du baccalauréat, mais là le dictionnaire ne servait qu'à régler les litiges. Que de mots a-t-on appris dans les pages jaunies de ce petit Larousse à peine illustré. Maintenant, la couverture a disparu, les premières pages aussi, jusqu'au A déjà bien entamé. Les conjugaisons sont passées mais il reste, bien rangée, entre les noms communs et les noms propres, la liste des proverbes ainsi que les racines, préfixes et suffixes latins et grecs qui composent notre langue.

Que vais-je faire de ce gros livre vétuste? Le jeter ? Impossible !
" Ca peut toujours servir", disait mon père, à propos de tout et de rien. J'ai hérité de sa manie.

Tiens, une belle feuille de vigne sèche et archi sèche. Une variété de ceps qui incendient les vignobles à l'automne.
Oh ! des billets de banque ! Depuis quand dorment-il entre ces pages ? La mémoire oublieuse aura laissé dormir Delacroix, Berlioz et Quentin de la Tour, trop longtemps.

Une enveloppe vient de glisser. Dessus, le tampon d'un régiment, une adresse inconnue, le nom de la famille.
Le pli a été ouvert, je soulève le rabat, en extrait un feuillet de papier à lettre jauni, une photo s'échappe. Je reconnais immédiatement ce beau jeune homme brun, souriant et fier dans son uniforme militaire.
La lettre est écrite au crayon et s'adresse à son oncle et sa tante. Ce dimanche 15 avril 1917, le capitaine avec des tremblements dans la voix vient d'avertir le bataillon, de la poursuite des opérations. Avant garde, attaque en première ligne, demain matin, à la première heure.
Malgré la confiance qu'il avait à se tirer sain et sauf de cette première attaque, il connaissait les risques et le mince espoir de s'en tirer vivant. Il ne voulait pas effrayer ses parents. Il voulait les épargner jusqu'au bout et s'il devait arriver le pire, l'oncle et la tante seraient prévenus en premier.

Ce soir-là, il a écrit une deuxième lettre, à ses parents cette fois, pour leur dire qu'il était en bonne santé.
Il a posé le crayon pour partir. Etape du soir, 10 km pour se rendre en ligne afin d'être prêt, dès l'aube, à partir à l'assaut.

Il est parti, un soir, sur le front de Craonne, pour ne jamais revenir. "Disparu", disaient mes parents. "Tué à l'ennemi", disent les papiers militaires. "Mort pour la France", dit le monument aux morts. Il avait à peine vingt ans, n'avait jamais tenu d'arme.
La peine était si grande qu'on n'en parlait jamais, à la maison, ni chez mes grands-parents. Seul mon père disait parfois : "Mon pauvre frère"

Cette photo, je la voyais chaque fois que j'accompagnais ma mère, entretenir le tombeau familial. Juste une photo, pas de plaque gravée, pas de corps. Je ne comprenais pas comment on pouvait disparaître.
J'ai su plus tard, sur les bancs de l'école.
J'ai cru, j'ai admis bien plus tard, cette disparition. Il a fallu cette lettre.

Un jour, j'irai sur le chemin des Dames.


© Mireille le 7 août 2007


 


Enfance en Languedoc

Quand la mélancolie me gagne, avant que la clinomanie ne me cloue dans la léthargie, je retourne au pays de mon enfance. La maison a été vendue, mais le Vidourle est toujours là.

Je monte sur la chaussée, minée comme autrefois par le réseau souterrain des taupes et les terriers de lièvres. Mes yeux se posent sur ce fleuve capricieux et aussitôt les souvenirs affluent comme une mémoire, une feuille dactylographiée qu'on déroulerait devant mes yeux.

C'est la crue de 58 qui a noyé la plaine de Sommières à la mer, c'est cette fillette continuellement enchifrenée, que l'on garde au soleil, bien à l'abri du vent, ce sont les brebis venues brouter les pousses tendres autour des aubépines odorantes, des joncs cespiteux et des tamaris légers. Près du berger, un jeune taureau plus ou moins apprivoisé, nourri à l'abondance si bien qu'il a davantage l'air d'un cochon grassouillet que d'un chien famélique. La barque est là, elle aussi, arrimée au tronc d'un saule, se berçant du clapotis avant la prochaine promenade parmi les nénuphars. Le carré barbote dans l'eau, ce soir mon père viendra le relever, espérant une carpe, une alose ou peut-être un brochet.

Pour l'heure, mon père est de l'autre côté de la berge, là où les vignes s'étirent à perte de vue. Ses hue !, oh !, dia ! dirigent le cheval qui tire la charrue. Un nuage de poussière les suit, aussitôt pris en charge par le vent du nord qui l'emporte vers l'embouchure du fleuve et m'entraîne avec lui vers le flot toujours bleu du Golfe du Lion.

Passant près d'Aigues-Mortes il s'engouffre dans les remparts, salue d'une rafale ce pieux roi de bronze qui en d'autres temps embarqua ici pour une expédition qui se voulait chevaleresque et qui baignait dans des intrigues absconses. La gargouille de la Porte de la Reine ne manque pas de laisser couler dans les oreilles les quelques secrets et sophismes qu'elle détient depuis des siècles.

Venez voir ces énormes nefs se frayant un passage entre les rives resserrées du chenal. Entendez-vous le bruit des voiles faseyant en attendant de se gorger de vent du large ?

Aujourd'hui le vent s'est arrêté au pied de la Tour de Constance hantée par le souvenir de ces prisonnières victimes de l'intolérance. La force de ces résistantes se glisse en moi et chasse cette mélancolie, cette faiblesse qui parfois envahit mon âme.


© Mireille le 4 mai 2007




Liberté

Quand les forces s'en vont...
Quand la mort stridente ne déchire plus l'air
Quand le ciel apaisé dissipe ses fumées
Quand les oiseaux tentent quelques battements d'ailes hors des trous où ils
se terrent
Alors j'ose fredonner un air de liberté

Quand les forces s'en vont...
Quand les bottes ferrées ne griffent plus le pavé des rues
Quand la ville ruinée se met à espérer
Quand hommes, femmes, enfants risquent un oeil, un pied, leur corps à vue
Alors j'ose entonner un air de liberté

Quand les forces s'en vont...
Quand l'horizon de la mer a englouti canons et torpilles
Quand les vagues ont effacé le chemin des chenilles
Quand vent et sable partent à l'assaut des blockhaus
Alors sur la plage lisse et blanche j'écris un mot, un seul : Liberté

Maintenant il leur faudra des forces
Pour survivre, revivre, vivre
Vivre d'absence, de manque
De blessures invisibles
De plaies visibles
De cendres, de vide
De joies inaccessibles
De tourments, de misères, d'amertume
D'amours amputés, déchirés
De larmes, de sarcasmes
D'heures sans sommeil
De cauchemars pour empêcher l'oubli
Se souvenir et souffrir
Mais jamais, jamais, oublier ou égarer
Sa Liberté


© Mireille 20/10/2002


 


Etre et avoir été

Choisir un souvenir, là maintenant ?
Quelques secondes au milieu de milliards de secondes
Une aiguille dans une meule de foin !
Impossible
Je le regretterai aussitôt
J'entends déjà la petite voix : "j'aurais, tu aurais dû..."

Un seul souvenir qui passe et repasse, on s'en lasse
Les plus belles choses deviennent rengaines
L'éternité c'est long
Un seul souvenir rabâché, voilà l'idée fixe, l'obsession
Avec le temps l'usure et la torture
Le doux souvenir devient blessure

Non, j'abandonne mes souvenirs ici
Chacun fera ce qu'il voudra
Les conserver ou les jeter à la volée avec mes cendres
Ils subsisteront d'eux mêmes
Ils iront enrichir l'imagination des uns et des autres
Les souvenirs ne se perdent jamais
Il y a toujours quelqu'un pour s'en occuper
Un poète pour les cultiver, les embellir, les mettre au goût du jour

Ce que je voudrais emporter n'a pas de nom
Les vivants n'en ont pas conscience
C'est une sorte de sixième sens
Quelque chose qui a le pouvoir d'émouvoir
De réveiller une situation imprécise
Une mémoire amnésique, une mémoire intermittente
Des impulsions d'émois
Un état de malaise
Une sorte de vertige
Où l'incompréhensible devient perceptible
Le perceptible incompréhensible
Le sentiment fugitif d'avoir déjà vécu cela
Un souffle tiède
Un frisson de musique
Un instant de lumière
Une goutte de sel
Un visage qui s'efface
Un rayon parfumé
Le malaise devient tourbillon
L' impression d'être aspiré dans du coton
Prisonnier d'un doux cocon qui se resserre jusqu'à l'oppression
Le sentiment d'être tout près de comprendre
Prêt à saisir le fil qui conduit hors de l'illusion
Pour se réveiller entre deux états : être et avoir été.

Comme la dernière fois, je souhaite emporter cette chose sans nom
Capable d'éveiller des sensations
De diffuser des bribes de souvenirs
Des bouts de mémoire
Des traces d'émois
De moi

© Mireille 9/11/02


 


Rêve d'enfance


Elle est là, plantée, au milieu de la cour.
La grande cour, vide, sèche comme les herbes folles qui attendent d'être fauchées
et où les courants d'air jouent, l'hiver, avec la poussière.

Je la vois, immobile sur les cailloux entre la cave et le long bâtiment en pierre sèche qui abrite habitation, écurie, remise, hangar, poulailler et misérable logement pour les vendangeurs.
Du haut de ses cinq ans, elle fixe l'invisible, loin devant.

Le printemps est arrivé. Le soleil est plus chaud. Le vent dort sous les porches, se cache dans les greniers.
Libérée de son gros manteau, de son bonnet, de son cache-nez - remèdes contre les microbes toujours prêts à s'engouffrer dans les narines, les bronches ou les oreilles - elle sent son corps se réveiller, s'animer.
Elle se met à tourner.

Elle tourne bras écartés au milieu de la cour
On lui a dit qu'elle allait tomber
Peu importe
Chercher la limite
S'approcher du point de rupture
Se rattraper avant la chute
Elle est son propre manège.
Elle s'étourdit à tourner jusqu'à l'ivresse
Elle tourne, tourne, sans jamais casser le fil qui la retient
Fil d'espoir, fil de vie

Cherche-t-elle des rêves?
Les attraper au vol, les tenir bien serrés dans ses mains
Ne pas les laisser échapper en cas de déséquilibre absurde sur le sol caillouteux

Sait-elle rêver?
Elle ne connaît rien d'autre que ce mas isolé
Pas de livre, pas d'école encore, rien. La vie monotone, rythmée par le travail des champs, le soleil et le mauvais temps.

Ah oui rêver d'avancer aussi vite que maman sans avoir à courir
Rêver d'avoir quinze ans. Pourquoi quinze ans? Rêver d'être libre.

Liberté, un rêve d'enfance devenu grand
Une utopie qu'elle fixe encore, au loin, là-bas...


© Miréio 15/12/2002


 


Après ma visite à l'isla Negra où vécu Pablo Neruda

Jusque dans sa mort

Il regarde la mer

Ici, à l'Isla Negra

Au côté de Mathilde


© Mireille Jeanjean, mars 2010

Voir le phototexte

 


Valparaiso, on se sent bien petit, à côté du grand Homme


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