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La piste de l'Assekrem, de Tamanrasset à l'ermitage du père
Charles de Foucauld
Tout au Sud de cet immense pays qu'est l'Algérie (1,5 fois le Québec)), à cheval
sur le tropique du Cancer, est un massif volcanique : le Hoggar (Ahaggar
en langue Tamacheq, langue berbère parlée par les touareg).
Charles de Foucauld a traduit cette langue en Français et a rédigé un
dictionnaire visible dans son ermitage sur le plateau de l'Assekrem. C'est
là, à une centaine de kilomètres de Tamanrasset que
nos pas nous conduiront, au milieu d'un paysage époustouflant
de grandeur et de couleurs.
Ne dites pas que vous partez
en Algérie, car on tentera par tous les moyens de vous en dissuader.
Pourtant, Tamanrasset, à 2000 km au sud d'Alger, est calme. La sérénité,
propice à la méditation, règne dans le Hoggar.
Toutefois, on ne s'aventure pas seul dans ces contrées sahariennes
aux espaces vierges, au risque de se perdre. Mieux vaut s'en remettre aux
bons soins d'un guide et d'une caravane de dromadaires ou d'un chauffeur
de 4X4. Avec quatre autres personnes, j'ai préféré suivre
un guide touareg pour affronter à pied, durant une semaine, l'aride
massif.
Les touareg sont ici chez eux. Ils connaissent leur immense territoire
dans les moindres recoins. Ils vont à pied depuis l'enfance, souvent
pieds nus, enturbannés de blanc ou de noir, vêtus d'une gandoura
bleue ou marron sur un pantalon saroual. Leur vue est d'une acuité exceptionnelle.
Là où vous ne voyez que chaos de roches, ils détectent
un couple de gazelles, un âne sauvage, un mouflon. Ils connaissent
l'endroit où croît la racine de manioc, où se cache
la guelta, source rafraîchissante. Il vous montre les traces du lapin,
du chacal, cueille la plante qui guérit la toux et celle qui parfumera
le thé. Marcheur infatigable, il sait ménager des temps de
pause. Economiseur de paroles, il ne reste cependant pas sourd à vos
questions.
Au nord de Tamanrasset, ne cherchez pas le sable. Le Hoggar, à cheval
sur le tropique du Cancer, est essentiellement un massif rocheux, né lors
des importantes éruptions volcaniques du tertiaire et du quaternaire.
Paysages aux formes étranges, fantastique décor où se
dressent aiguilles (l'aiguille Saouinan dans l'Atakor), pitons isolés
(l'Aouknet, le Daouda, l'Iharen, l'Ilamane), dômes intacts comme
le Oul, en forme de cœur, d'autres éclatés ou effondrés...
Les roches noires voisinent avec le granit rose (massif de la Taessa),
les orgues basaltiques et autres pierres passant par des tons de beige,
gris, rouges, ocre selon l'heure. Les levers de soleil sont splendides.
Les couchers sont merveilleux qui embrasent les crêtes découpées,
allongent les ombres des acacias, des pierres qui jonchent le sol, des
personnes, des dromadaires, de tout ce que le soleil touche avant de disparaître.
Le ciel se pare alors de teintes pastels, dégradés de bleus,
jaunes, orangés et si par hasard quelques nuages égarés
viennent à passer, ils sont aussitôt changés en vapeurs
rougeoyantes.
Rapidement, la nuit descend et aussitôt la lune apparaît, un
fin croissant plus brillant que jamais. A sa suite, s'allument les étoiles.
Une ici, une là, ça fourmille de toute part. Orion s'allonge à l'horizon,
Cassiopée s'installe; son double V est tout retourné, les
Pléiades pétillent, la Voie Lactée trace le chemin.
En un clin d'oeil, le ciel est rempli d'astres scintillants. Certains s'échappent à toute
allure et vont mourir quelque part dans l'atmosphère. Des années
lumières nous séparent de cette étincelante féerie
et un vertige d'incompréhension s'empare de nous. Heureusement le
froid nous ramène sur terre. Il n'est pourtant que 19 heures. Quelle
différence avec les 30°C de la journée !
Le repas est pris autour du feu de bois. La chorba (soupe à base
de légumes variés et d'épices) nous réchauffe
agréablement. Des morceaux de taguela (galette cuite sous les braises)
jetés dans le bouillon brûlant la rend plus consistante. Vient
ensuite la chakchouka (sorte de ratatouille de légumes) agrémentée
de quelques morceaux de mouton, de pâtes ou de couscous. Les dattes
sèches terminent le repas. La longue marche sur des chemins escarpés,
malaisés, encombrés de cailloux roulant sous les chaussures
a épuisé nos réserves et c'est de bon appétit
que nous engloutissons ces mets parfumés. La soirée se poursuit
avec la traditionnelle cérémonie du thé. Trois thés
sont servis successivement d'un geste bien mesuré qui précipite,
de presque un mètre de haut, le breuvage dans de petits verres sans
en perdre une goutte. Le premier libère toute l'amertume du thé vert,
le deuxième est doux, le troisième qui a perdu de sa force
est agréablement aromatisé avec des plantes cueillies près
du bivouac.
Merveilleuses plantes du désert, médecines naturelles. Depuis
hier un chamelier est malade, une vilaine toux gêne son sommeil.
Qu'importe, la plante remède est brisée, triturée,
ses tiges écrasées entre deux pierres. Le bouquet mis dans
une jatte d'eau froide, un galet brûlant sorti de dessous les braises
est jetée dans l'eau. Aussitôt l'eau bouillonne et exhale
des vapeurs que notre homme respire. La nuit sera calme pour lui. La toux
vite oubliée.
Les veillées sont courtes. Le froid engourdi, la fatigue gagne.
Il n'est que 20 h 30 et déjà chacun rejoint son coin de nuit.
La tente pour les frileux. Mais pour une nuit à la belle étoile,
un matelas posé sur le sol. Les nuits sont froides, dans cette partie
du Sahara où l'altitude oscille entre 1500 et 3000 m au mont Tahat.
Il en faut du courage pour s'extraire de la douce chaleur du duvet sarcophage,
et enfiler des vêtements froids. Ensuite se réfugier bien
vite près des chameliers qui papotent déjà autour
du feu en surveillant les théières. Par bonheur, le soleil
monte vite et la chaleur fait rapidement place au froid.
Les contrastes sont aussi sur le terrain. Tantôt d'immenses plateaux
s'étirent à perte de vue, jonchés de cailloux, de
graviers colorés, de gros sable rougeâtre, de terre craquelée,
tantôt des défilés où alternent sable blanc,
blocs de pierre lisse et blanche, flaques d'eau, tantôt des pentes
escarpées, des sentiers abrupts qui serpentent entre d'énormes
cailloux. Et soudain, l'émotion : dans un renfoncement de la paroi
une gravure rupestre, un troupeau de vaches peint sur la pierre, un personnage
l'accompagne, témoin d'un autre âge, du temps où le
Sahara n'était pas désert. Nous croiserons d'autres représentations
: autruches, girafes, chevaux, quelques signes d'écriture tracés
par les hommes de la première heure.
Nous avons traversé des zones où les roches, tourmentées
par les vents, le sable, le gel, le soleil, ont pris des formes multiples,
surprenantes, comme si un artiste était passé par là.
Les falaises du massif de l'Amezerout ressemblent à des cathédrales
aux façades ajourées, percées de fenêtres sculptées,
décorées de statues. Dans les anfractuosités de
la pierre, dorment des geckos. Ecailles grises, vertes, brun rouge, pour
ces
survivants du jurassique.
Surprenantes aussi ces plantes que des conditions extrêmes ne parviennent
pas à stopper le cycle de vie. Quel bonheur, quelle admiration
de voir ces petites pousses se couvrir de rouge vif, de bleu lumineux,
de
violet, de jaune. Comme si elles voulaient rivaliser de couleur avec
la pierre.
Dans cette immensité où la vie est miracle, le silence est
agréablement rompu par les trilles du moula-moula. Oiseau du désert
par excellence, ce traquet noir au croupion blanc et dessus de la tête
blanc chez le mâle, aime accompagner les randonneurs, à distance.
Il va de buisson en buisson, attendant la levée du camp pour grappiller
les miettes du repas.
Après cinq jours de marche dans un environnement extraordinaire,
vierge de toute habitation et de véhicules à moteur, nous
arrivons au pied de l'Assekrem. C'est là, sur ce plateau, à 2700
m d'altitude que Charles de Foucauld a bâti son ermitage en 1911.
A l'intérieur de la modeste bâtisse en pierre, une chapelle
très simple : trois pierres de lave pour l'autel, un petit crucifix,
une ouverture juste assez large pour laisser passer un rayon de soleil
et un filet d'air. Une autre salle servait de lieu de travail. Elle conserve
ses écrits, ses notes, ses livres, ses instruments de mesures. Photos
et documents relatent la vie de cet homme venu à Dieu sur le tard.
Devant la porte, une table d'orientation permet de se repérer parmi
les chapelets de sommets qui s'étalent à perte de vue.
Le sentier était rude pour gravir les 700 mètres qui nous
séparaient de ce lieu de recueillement. Cependant ce soir tout le
monde semble s'être donné rendez-vous ici. Certains sont arrivés à pied,
d'autres en 4X4. Il faut dire que la vue est imprenable sur un paysage
prodigieux et que le coucher de soleil est des plus appréciés
de tout le Hoggar. Certains vous diront de tout le Sahara. Cela reste à vérifier.
© Mireille Jeanjean pour Le
Soleil le 24 août 2007 |
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