La cabane-douane (Oficina Migracion Bolivia) minuscule au pied
du volcan Licancabur. Quatre murs gris, des kilos de parpaings et de pierres
sur
le toit de tôle ondulée. Le drapeau rouge-jaune-vert flotte
au bout d'un bricolage de perches. Il fait froid.
Trois voitures tout terrain nous attendent. De vieux 4x4 (une fois n'est
pas coutume) pour dix-sept personnes de toutes nationalités. Du Canada à l'Australie
en passant par l'Espagne, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, La Suisse,
l'Italie, la Croatie, nous formons un petit tour du monde.
Nous ne sommes pas les seuls sur cet itinéraire et parfois les voitures
alignées sur la crête me font penser aux indiens qui guettent l'ennemi
dans les westerns de mon enfance. Nous, nous guettons les flamants et admirons
le paysage.

Désert à l'infini. La piste longe des volcans aux flancs
multicolores. Blanc, jaune, rouge, brun, noir se superposent, se mélangent
le long les différentes coulées de lave. Dans cet extraordinaire
espace minéral et salé, seules quelques touffes d'herbe rase parviennent à pousser.

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Llareta (Azorella compacta) |
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Par endroits, d'énormes pierres dressées semblent sorties
d'un tableau de Dali. L'artiste est-il venu chercher l'inspiration ici
? Ces pierres sont-elles l'œuvre du temps ou bien des vestiges de
monuments élevés
aux dieux atacamènes avant que les conquistadors n'imposent le
catholicisme ?
Il faudra que je me documente. Je voyage sans le guide du pays et nos
chauffeurs sont de simples accompagnateurs. Ils connaissent le nom des
volcans, des
lagunes et d'autres choses palpables. Il y a aussi la barrière de
la langue. Comme il a été difficile de réclamer la
musique traditionnelle andine à la place des standards mondiaux
!
 

Sommes-nous ici pour autre chose que l'aventure ? L'aventure est partout.
Sur cette zone géothermique dont le sol semble avoir subi un bombardement.
Sol de Mañana à 4870 mètres d'altitude, plus haut
que le Mont Blanc !

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On se promène librement autour de mille
trous. Des boues grises, jaunes ou roses bouillent à gros
bouillons dans les marmites du diable. Des bouches crachent en
sifflant des jets d'eau et de vapeurs brûlants. Ça
sent le soufre. C'est captivant.

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Il y a aussi ce bassin fumant où l'on se glisse dans l'eau limpide
et chaude. Est-elle potable ?
L'eau potable est rare sur l'Altiplano. Les lagunes qui subsistent sont
salées ou contaminées par de dangereux produits issus
du sol. Arsenic, bore et quoi encore ?
Ce soir à l'hôtel deux robinets seulement distribuent de
minces filets d'eau.

Selon les produits ou les micros organismes qu'elle contient, l'eau
se teinte de multiples couleurs. Ainsi on croise les lagunes bleue,
turquoise,
verte, rouge. Les lagunes sèches, quant à elles, étincellent
de tout leur sel.
La laguna Colorado a ma préférence. Une eau rouge
scintille entre les plaques de sel. La berge est couverte d'un tapis de
mousse et de lichen où paît une famille d'alpagas
ou de lamas. Ils ont des rubans fuchsias au bout des oreilles. Le dernier-né tète
encore sa mère. Des flamants cherchent leur nourriture en laissant
traîner leur bec à fleur d'eau.
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Alpagas |
Vigognes |
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Flamants de James, Parina chica,
Phoenicopterus jamesis |
Flamants des Andes, Parina grande,
Phoenicopterus andinus |
La plus grande de ces lagunes est le salar d'Uyuni. Nous
avalons des kilomètres d'une étendue blanche réfléchissant
l'implacable soleil. Aucun repère pour se situer. Des mirages et
au loin, très loin, brouillés de chaleur, les sommets volcaniques.
Nous restons des heures à jouer sur le sel, à inventer des
effets photographiques. Les chauffeurs ont pour l'occasion troqué leur
volant pour nos appareils photos. Les résultats sont probants. Le
plaisir partagé.
Photo prise par Miguel, notre chauffeur : 

En repartant nous croisons cet îlot rocheux couvert d'énormes
cactus. Jacques Dutronc est-il venu ici, à Incahuasi ?
La poignée d'habitants exploite le sel. Le sel, on en fait aussi
des maisons ! Nous avons dormi dans un hôtel de sel.
En trois jours, nous n'avons traversé que deux villages. Installés
en bordure du salar, ils vivent de la culture de quinoa et du tourisme.
Deux femmes, deux cholitas, jupes amples et tresses longues
jusqu'aux reins, se dirigent vers l'épicerie. Dans le dos, elle
porte l'aguayo (carré de tissu) rayé de couleurs
vives qui leur servira de sac à provisions, si la place n'est
pas déjà prise
par un nourrisson. A cause du soleil probablement, elles ont remplacé le
traditionnel chapeau melon par des chapeaux de paille à large
bord.
 
Qui m'aurait dit que je traverserais l'Altiplano, du Chili à la Bolivie
! Trois jours de découvertes, d'éblouissements, au sens propre
comme au figuré, dans des conditions très rudimentaires. Trois
jours entre 4000 et 5000 m d'altitude, dominée par des volcans parfois
fumants.
Le soroche (mal des montagnes) n'a effleuré qu'une personne. Pour
les légères
indispositions, il y avait la coca : en feuilles, en bonbons et les infusions
de coca-maté ou de trimaté (coca-manzanilla-anis). La chaleur
du jour compensait le froid cuisant de la nuit.
Devant tant de beauté, les désagréments sont vite oubliés.
La nature donne et reprend à son gré.
Et si c'était à refaire…
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