1. La mouche
  2. Le papillon
  3. Histoire de chat
  4. Mon chat
  5. Les fourmis
  6. Tarente
  7. Extrait du journal d'une tarente
  8. Sauve qui peut
  9. Les étourneaux
  10. Un cocardier est né
  11. Léon et l'endormi
  12. Un amour de zibeline
  13. Le cygne de Puerto Natales
  14. Soir de juillet

 

Dans toute l'étendue du règne animal la conscience apparaît comme proportionnelle à la puissance de choix dont l'être vivant dispose. (Henri Bergson)
       
 



La mouche

 

Que c'est bête une mouche.

Celle-ci est grosse, noire, avec des reflets mordorés.

Elle vole avec un bruit d'enfer.

Un biplan de la guerre 14/18 serait un doux ronron.

Elle amorce un virage et vient se coller contre la vitre. Au soleil.

Chaleur et lumière voilà ce qu'elle aime.

J'ouvre la fenêtre, elle ne sort pas refusant la fraîcheur des journées d'automne.

Je la frappe d'un coup de torchon, et dans ma précipitation je la rate.

Chanceuse, elle repart faire un tour dans la pièce.

Je l'entends. Elle visite les quatre coins, trouve un refuge, se pose quelques secondes, le temps de reprendre ses esprits et revenir de son effroi.

Court répit. La voilà qui rapplique taquiner la fenêtre et mes nerfs

Cette fois j'ajuste bien mon tir et pfffttt!

La bestiole gît sur le tapis.

C'est vraiment bête une mouche.

 

©Mireille 4/11/2002

 

 

 
         
Le papillon

  

Mai l'accueille au matin.
Lentement il défroisse
ses quatre ailes de soie
brillance des couleurs
frémissement léger.
Antennes aux aguets
il s'en va butiner
la rose ou le lilas.

 

Et tout au long du jour
regardez-le, il vole
de corolle en corolle
puisant avec sa trompe
les délicieux nectars
se saoulant de parfums.

 

Dans son errante ivresse
il en oublie le soir
ne voit pas que l'azur
a fait place au lilas
que le soleil lui-même
a perdu son éclat.

 

Sa vie est éphémère
il doit vite trouver
la fleur pour abriter
son repos éternel.

 

Ne distinguant plus rien
dans la pâleur du soir
se pose sur ma bouche
y dépose un baiser,
troublant, au goût sucré,
lourd de vagues secrets.
Brûlure sur mon coeur
que larme de rosée
bientôt apaisera.

  

© Mireille 1999

 

 

Histoire de chats


Chat noir, chat blanc

en silence déambule

de la chaise à la table

de la table à l'étagère

d'un coup de patte leste

dérange crayons, stylos

répand l'encre violette

et va en pattes de velours

imprimer sur la feuille

sa vie de chat.

© Mireille 20/11/2000

 

 



Mon chat

 

Mon chat persan pelage poivré-cendré

Mon chat frileux s'enroule en boule voluptueuse dans la cheminée

Mon chat aux yeux si bleus qu'on les dirait emplis de vague d'océan

Mon chat plonge dans mes prunelles son regard perçant

Mon chat aux oreilles dressées, le moindre bruit les réveille

Mon chat ronronne en rond dans sa corbeille

Mon chat ne dort que d'un oeil, il entend, il perçoit

Il emplit sa mémoire de délices et d'effrois

Mon chat gonfle ses poils pour mieux me caresser

De sa langue râpeuse il me donne un baiser

Mon chat si cruel et si doux

Mon chat aux griffes acérées quand sa patte n'est plus velours

Mon chat à la gueule garnie de crocs bien affûtés

Mon chat tout ce qui bouge est un jouet à croquer

Pelote, campagnol, musaraigne, oisillon

Des compagnons de jeux qu'il abandonne aussitôt moribonds

Mon chat sa queue bat la cadence pour quelques angoisses

Je l'appelle minet, minou, minette, qu'importe il me menace

Il va oreilles basses et miaulements obscurs

Ses moustaches s'agitent, il gronde en mesure

Mon chat soudain se ramasse et en trois bonds disparaît là-haut dans le tristet

C'est là dans ce réduit sombre et presque inaccessible qu'il cache ses portées

Mon chat, j'avais oublié tes chatons affamés

Mon chat ta langue râpeuse titille ma souvenance

Mon chat je me souviens, tu griffais mon enfance

© Mireille 29/10/2002

 

 



Les fourmis

Averse de pluie
Coup de chaleur soudain
Joli mois de juin

Les fourmis ailées surgissent
Alors moi je pulvérise

© Miréio juin 2002

 

 

Tarente

 

Pas fait exprès
Je n'ai pas voulu ça
C'est geste maladroit
Ou bien geste oublié

Fermer la fenêtre dans le noir?
Laisser taper la fenêtre dans le vent?
La bête s'est laissée prendre au piège du battant
Je l'ai trouvée hier matin
Moins froide qu'en vie
Allure frissonnante
Entre dehors-dedans
Ses soeurs sont encore là
Cachées dans leur silence
A l'écart par prudence

L'occasion était trop belle
de graver l'innocente
pour la postérité

© Mireille 5/09/03

 

 

Extrait du journal d'une tarente

Je suis une tarente, de l'espèce des geckos.
Je ne sais par quel hasard, mon arrière grand-mère est arrivée ici. Elle s'y est trouvé bien et s'est installée. Depuis ce temps, de mère en fille, on naît, on s'accouple, on pond, on assure la pérennité de la race dans cet espace douillet et presque sans danger.

Presque sans danger mais pas sans danger.
Ce matin j'ai vu la mort de près. Je me suis aventurée à l'intérieur de la maison des hommes. Ces grands escogriffes, ces géants bruyants ont essayé de me capturer avec leurs grosses pattes. J'ai bien tenté de mordre, j'ai crié et finalement, pour avoir la vie sauve, je leur ai abandonné ma queue.
Ce soir, j'ai failli être écrasée dans le chambranle d'une fenêtre. C'est arrivé à mon cousin lézardeau. Il n'était pas beau à voir. Tout raplapla. Le pire c'est qu'il était encore chaud - façon de parler – quand une foultitude de fourmis affamées s'est jetée sur lui pour se restaurer.

Chaque jour j'apprends un peu plus de la vie. Je sais prévenir les dangers.
Aujourd'hui j'ai pénétré dans la maison. Ni vu ni connu. Il y a plein de cachettes. Avant d'entrer ou de sortir il faut bien regarder à droite et à gauche, puis passer le pas sans traîner. La maison et le jardin recèlent une multitude de recoins emplis de chaleur. C'est douillet !

Ce matin, je suis partie en exploration. J'ai trouvé un endroit frais et humide, une région sans soleil. Au milieu d'une forêt luxuriante, j'ai déniché un garde-manger extraordinaire. Parmi les tiges grasses et les larges feuilles luisantes du jardin, j'ai fait un festin de reine. J'y serais encore, si je n'avais été tirée de ma sieste par une averse soudaine. Je n'aime pas trop ça l'eau surtout quand elle arrive à plein jet sur moi.

Ce soir, j'ai chassé mon premier papillon de nuit. J'ai fait comme grand-mère m'a conseillé. J'ai passé de longues heures à guetter ma proie. Tapie dans l'ombre juste à la lisière de la lumière du réverbère, j'ai attendu. Quand, attiré par l'éclat de la lampe, l'insecte s'est présenté, j'ai progressé par petites reptations et lorsque j'ai jugé la distance bonne, je me suis précipitée, vive comme l'éclair et… je l'ai raté ! Alors j'ai recommencé et recommencé. Toute la nuit j'ai lutté et au petit matin, hop ! j'ai gobé la bête.

Quelle belle vie que la vie de tarente. Se fondre parmi les imperfections du crépi de la façade et lézarder des heures sur les murs chauds. Je sais maintenant que je n'ai guère de crainte à avoir des hommes.

Hier, alors que j'étais absorbée par les préparatifs de la chasse, un doigt humain a effleuré mon dos. La surprise a été grande pour chacun de nous. C'était la première marque d'affection ; d'ordinaire j'effraie les hommes. Je me demande bien pourquoi. Est-ce à cause de mon dos recouvert de tubercules cornés ? Est-ce mon allure de caïman miniature ? Ou bien l'extrémité de mes doigts gonflés en ampoules adhésives ? Je suis pourtant inoffensive. Je ne pique pas, au contraire, je les débarrasse des moustiques et autres bestioles indésirables.

Hier j'ai croisé un jeune gecko. On a joué à se poursuivre, à se cacher derrière les pierres. Je m'échappais, il me rattrapait. A la fin il a eu le dessus.

Ce matin je me suis sentie différente, bizarre. Maman m'a tout expliqué. Alors je suis partie le long du toit, je me suis glissé sous une tuile et au fond du trou, j'ai déposé mes œufs. Ils resteront là, bien à l'abri, jusqu'au printemps.

L'été se termine. Il pleut souvent, la chaleur diminue avec les jours. Les fenêtres de la maison restent souvent fermées. Avant qu'elles ne s'ouvrent plus, je vais entrer. J'ai décidé de passer l'hiver au chaud. Je me suis installée dans la petite chambre du premier. C'est la plus ensoleillée. C'est là aussi qu'il y a l'ordinateur. Pendant que madame pianote, je reste cachée derrière la litho de Picasso. Aujourd'hui, j'ai juste eu le temps de filer derrière le radiateur. Elle m'a repérée et me supporte. Je ne peux pas dire que nous sommes amies, mais nos relations de voisinage sont excellentes.

© Mireille 25/04/2004


 

Sauve qui peut

La porte était entrouverte et nous sommes entrés prudemment pour nous mettre à l'abri. Dehors l'orage grondait, la pluie avait creusé des rigoles qui s'étaient transformées en torrents, le rocher qui nous servait d'abri menaçait d'être emporté. Un vrai déluge qui risquait d'anéantir ma famille.

Là, dans cette pièce sombre nous nous sommes séchés, réchauffés et j'étais en train de chercher un endroit propice au repos quand une vive lumière envahit la pièce. Aussitôt mes petits s'agglutinent sur mon dos, s'accrochent à mes pattes. Il ne faut surtout pas nous faire remarquer. Pas un bruit, pas un mouvement. Recroquevillés les uns contre les autres, là où on est on ne risque pas d'être vu.
Des ombres se meuvent, menaçantes. Elles s'étirent, se ramassent, se transforment en fantômes gesticulants. Shiva déployant ses bras agressifs. Soudain, l'ombre nous recouvre, nous sentons notre dernière heure approcher. Mes poils se dressent, mon corps frissonne, je reste vigilante, prête à bondir. Dernier sursaut pour la survie.

C'est alors qu'un cri retentit. Un cri strident. Tout mon être garde encore le souvenir de ces vibrations. Une onde de choc comme un millier aiguilles qui vous transpercent. L'ombre reste figée sur nous. Elle nous écrase de son intensité et de sa menace. Le hurlement continue, le taux de décibels atteint son paroxysme, la désintégration est proche. Heureusement une ombre venue d'ailleurs s'approche et emmène le cri.
La lumière persiste et nous profitons du calme revenu et du danger éloigné pour changer de cachette. Court répit. Une masse sombre soufflant un vent violent imprégné de gouttelettes asphyxiantes s'abat sur nous.
- Vite filez!
Une nuée de petites tâches noires galopantes se détache alors de mon dos, s'arrache de mes pattes et à vive allure se réfugie sous les plinthes, sous le lit, dans des creux du mur, derrière l'armoire. La tornade mortelle ne sait plus dans quel sens souffler ce qui me permet de me replier dans une poche d'air du double rideau et de survivre au poison.

© Mireille 4/04/2002


 

Les étourneaux

 

J'aime ces doubles croches posées sur la portée façon étourneaux sur un fil.

Des étourneaux, parlons en. Ils ont investi les cieux et le gros pin parasol de la placette. Jamais de la vie ils n'ont été aussi nombreux. Essayez d'en placer une, vos paroles se perdront parmi les piaillements. Rien de comparable à un gazouillis de rossignol ou de mésange. Pour avoir le silence, il faut attendre leur départ car même la nuit il y en a toujours qui piaffent. Impatience d'ailes.

Dès que le soleil commence à déplier ses rayons de feu, au moment où la nuit disparaît emportant son froid dans un vent coulis, ils recommencent leur folle sarabande. A l'infini ils s'étirent et se rassemblent. Ils s'éloignent et reviennent. Nuages compacts, nuages légers.
J'aime les regarder évoluer sans cesse encore et encore.

Ce soir, j'ai emmené mon appareil photo pour tenter de fixer ces esquisses éphémères. Dos calé au mur, appareil bien en mains, respiration suspendue, trois clés pour réussir une photo à cette heure avancée de la journée. Par bonheur le ciel est bien dégagé.

Le lendemain matin on pu lire dans le Canard-menteur : "Hier en fin d'après-midi, une nuée d'étourneaux s'est précipitée sur une photographe amateur, alors qu'elle tentait de les capturer dans sa boîte noire. L'infortunée fut, en un rien de temps, transformée en épouvantail malodorant. Drôle de destin pour cette personne qui affirme éprouver un grand amour pour les volatiles. Ne devrait-on pas y voir l'existence d'un signe, d'une malédiction?
A moitié hagarde, elle fut admise aux urgences de la ville où de mémoire d'infirmier jamais un tel incident ne s'était produit. "Certain, je vous le dis plutôt deux fois qu'une"
Après nettoyage, désinfection et pansements divers, notre rescapée pu rentrer chez elle."

A notre envoyé spécial elle a déclaré: "Puisque la photo est devenue un loisir dangereux, je vais m'orienter vers une autre activité. Sachez que moi, entre oiseaux et musique... J'aime ces doubles croches posées sur la portée façon étourneaux sur un fil..."

© Miréio 28/11/02


 

Un cocardier est né

Mon Codardou me souffle maman de ses tendres naseaux. Je suis de la race des taureaux de Camargue. Pas encore baptisé, mais déjà de la graine de cocardier. Maman me le répète depuis ma naissance et m'élève en conséquence. Il ne faut pas déroger à la lignée du sang, à la dynastie des grands. Sanglier, Vovo, Goya… Des ancêtres au nom prestigieux. De grands combattants, qui se faisaient respecter et que le public haut perché applaudissait à tout rompre quand mes aïeux, de leurs cornes puissantes, n'avaient pas déjà rompu barricades et portillons et fait fuir ces aficionado comme ils se font appeler !

Les applaudissements, les cris, les acclamations et la musique. Ah ! Carmen, l'air du Toréador qui récompense les meilleurs. Je veux être de ceux-là. Pas comme mes fiers cousins d'Espagne qui de musiques et d'ovations n'entendent rien, allongés qu'ils sont sur le sable, traînés par des chevaux caparaçonnés, laissant derrière eux s'écouler les dernières gouttes de leur valeureux sang.

Non ! Ici, pas de mise à mort. En Camargue, on ne tue pas les taureaux même si certains d'entre nous, à force de fougue, passe la limite et, accident ou inconscience, déchirent le corps d'un de ces raseteurs* qui ne nous veulent pas de mal, mais qui eux aussi ont la rage de vaincre et de se surpasser pour la gloire et pour l'argent. Ils récoltent les bravos et les "bronca"* parfois lorsqu'ils se comportent mal en piste.

On nous aime en Camargue, pour ce que nous sommes : courageux, intelligents et faisant bien notre métier de "bioù"*, du milieu de l'arène jusqu'aux barricades et même au-delà, dans la contre piste. C'est si facile de sauter les planches avec nos puissantes pattes et parfois emportés par l'élan, certains sautent jusque sur les théâtres.

Maman m'a raconté cela, et m'a mis en garde. Je ne devrai jamais tenter de m'échapper, le danger est trop grand. Je ne dois pas avoir peur, les spectateurs crient de plaisir, le crochet des hommes en blanc n'est pas dirigé contre nous, c'est un outil pour attraper à prix d'or les attributs qui ornent nos têtes, nos cornes et même notre garrot. Cocardes, glands, ficelles et couleurs de la manade, autant de bouts de tissu, de brins de laine qu'il faut venir chercher entre nos cornes acérées.


Avant cela, il reste du temps, je ne suis qu'un anouble*, un jeune veau d'un an bientôt. Je dois subir toutes les étapes de l'initiation et de la présentation. Ca commence demain, en présence de spécialistes de la tauromachie, des tas de peureux à l'abri derrière les planches du "bouvau"*. Maman m'a dit qu'il ne fallait pas que j'écoute leurs sornettes, mais que je me concentre sur la cruauté de la ferrade et que je fasse fière figure.

Deux gardians* me tenaient bien plaqué contre terre et moi je retenais ma hargne.
J'ai senti la fumée, j'ai vu le fer rouge approcher et lorsque qu'il s'est posé sur ma peau, à peine si ma cuisse a frémi. Je n'ai poussé aucun cri. Une larme a roulé sur l'odeur de chair brûlée. Je porte un numéro et la marque du manadier et comme une douleur n'arrive jamais seule, voilà qu'une mâchoire de fer vient de croquer mon oreille : une belle "escoussure*", signe de ralliement à la manade.

Maman m'a bien expliqué que c'était important pour moi qu'on puisse me reconnaître et me ramener dans le troupeau au cas où je m'égare, car notre vie est faite de liberté, de gambades dans l'immense sansouire*, à goûter les salicornes* salées, sentir les fleurs bleues des saladelles*, se reposer à l'ombre des tamaris, taquiner les vachettes, se mesurer aux autres "tau"*.
A partir d'aujourd'hui, je ne serai plus attaché aux mamelles de ma mère. Vive la liberté !



Quand je pense à nos cousins de la France profonde qui tournent en rond dans un pré à longueur de journée, presque à longueur d'année quand le temps le permet. Sinon ils restent enfermés, en liberté surveillée dans une étable, nourris misérablement : pâtée et eau matin et soir. D'air, ils ne voient qu'un vent coulis qui apporte le gel, les nouvelles du monde et un peu de clarté en glissant sous la porte. Ils ont l'air, le temps, l'eau fraîche, mais d'amour… nada ! Mâles et femelles, chacun dans son coin ! A l'entrée, on leur confisque les cornes. A la sortie on ne les leur rend pas. Ah! nos beaux attributs ! Paraît qu'ils en font de la poudre pour soigner les braves gens. Les miennes je les lustre contre celles de maman ou contre les branches de tamaris.
Quelle vie monotone ! On leur a même supprimé leur spectacle préféré : le petit tortillard poussif. A la place ils ont lancé le TGV. Il passe si vite, qu'à peine entendu, déjà disparu. Les pauvres cousins en perdent l'appétit, et passent la moitié de leur temps allongés dans l'herbe ou sur leur litière puante à ruminer entre leurs dents. Certains en deviennent fous. Pas étonnant.


J'ai maintenant cinq ans. Hier était un grand jour, ma première course dans l'arène. C'était impressionnant : quelques coups de trompette, une voix qui claironne : "Le taureau qui entre en piste est un taureau neuf, il appart…" Je n'ai pas attendu la fin, je me suis précipité hors du toril*, je suis entré en piste au pas de course. Un bourdonnement, une rumeur grandissante disait le contentement du public. J'étais beau et fort. Je le savais. J'avais dix minutes pour le montrer. Les hommes sont arrivés, l'un après l'autre ils passaient et repassaient, tantôt à gauche, tantôt à droite, tendant leur bras armé du crochet. Je défendais bien mes attributs, et poursuivais les raseteurs jusqu'à la barrière. Le public s'enflammait. La fatigue gagnait. Quelques minutes avant la fin, un homme en blanc réussit à couper et enlever la cocarde qui ornait mon front, là où mes poils frisottent, l'endroit où mon amie Enganette, ma vachette préférée, aime poser son museau.
Quand le "trompétaïre" a sonné la fin du jeu, la tête haute, le gland toujours fixé à ma corne droite, je me suis dirigé vers la sortie sous les applaudissements du public et les accords de Bizet.

Je serai un grand cocardier, dans la lignée des Sanglier, Vovo, Goya….

Lexique :

*Bronca : Du castillan : bronca, manifester son mécontentement
*Bioù : boeuf, taù bistourné càd un bœuf entier
*Anouble : Jeune taureau d’un an.
*Bouvau : Enclos le plus souvent en planches
*Gardian : Il garde le troupeau, trie les bêtes… Il ne se sépare pas de son outil de travail : le trident
*Escoussure : entaille pratiquée sur les oreilles des jeunes taureaux
*Toril : local attenant aux arènes où l’on garde les taureaux avant la course.
*Sansouïre : Ensemble de vastes espaces stériles couverts d’efflorescences salines, inondables, recouverts de salicornes.
*tau : taureau entier
*salicorne : plante encore appelée engane ou enganette, depuis quelques temps on en trouve à la vente, ça se mange et c'est bon
*saladelle : Fleur emblématique des gardians...... ( Limonium vulgare, Statice limonium )( Plombaginacées ) Synonyme : Lavande de mer, Limonium commun, Lilas de mer
*Raseteur : Nom donné à l’homme, habillé de blanc, qui se mesure au taureau dans le jeu du raset

© Mireille/Miréio 23 octobre 2006


 

Léon et l'endormi

 

Tu es camé Léon
Moi je suis l'endormi
C'est bien ainsi que tu m'appelles ?
Pourtant de nous deux l'endormi...

Tu n'es guère plus éveillé que moi, abruti par tes décoctions-poisons
Tu goûtes trop le datura
Ses feuilles, ses racines, ses fleurs en infusion quand ce ne sont pas les graines que tu grignotes
Moi je t'observe, dissimulé dans le feuillage de l'arbuste,
je chasse le moucheron et le chikungunya,
je hume le parfum délicat des fleurs,
Quand j'étais un nouveau-né, je me glissais dans la corolle.
Je n'étais guère plus gros que le pistil. Insignifiante brindille sombre.
Maintenant j'adore jouer au jeu des couleurs et quand j'ai réuni l'essentiel du fond, je n'ai plus qu'à m'endormir et me faire oublier.

Aujourd'hui tu m'as jeté un sort en jetant ce chiffon, ce bout de kilt écossais
Ah ! tu voulais te débarrasser d'un essaim de guêpes, mais c'est moi qui ai failli faire les frais de ton hallucination
Comme il m'en a fallu de l'énergie pour concentrer toutes ces couleurs en un temps record. Heureusement la dominante était verte et moi beau mâle.
Je n'ai eu qu'à glaner quelques pointes de rouge sur le sol de ta case,
des échardes jaunes sur les volets anti-cyclone,
un dégradé de bleu dans le ciel de Saint-Leu,
une ligne blanche sur la vague du spot.

Quand le jour tomba sur le petit lagon, il eut été bien difficile à quiconque d'isoler un élément dans ce tableau surréaliste. Surtout pas toi déjà plongé dans les effets hallucinogènes du datura.

Tu es camé Léon.
Moi, je suis l'endormi.


© Mireille le 19 juillet 2007


 

Un amour de zibeline

Des zigzags entre les buissons givrés
C'est elle toute blanche sur la neige immaculée
Seul son contour ondule quand le soleil est au zénith
L'ombre des branches nues zèbre son dos le temps d'un éclair.

Jolie zibeline
Attentive aux dangers qui la guettent
Son museau furète. La moindre odeur doit être analysée, contrôlée, surveillée
Elle en a reniflé de ces zigotos prêts à la zigouiller pour le bizness
Ils puent à plein nez les verres pris sur le zinc, histoire de se réchauffer l'intérieur avant d'entreprendre la razzia dans le blizzard glacé.

Le danger est toujours là, à l'horizon
Pas de place pour les surprises ici dans la taïga
Pas le temps de lézarder quand le ciel est azur

Pas question de se retrouver au zoo, côtoyer zébus, zorilles, chimpanzés et autres zèbres
Ni sur le dos de ces donzelles qui font du zèle et des effets de zygomatiques

Mazette, quelle vie que la vie de zibeline !
Mais quel rire quand on se met à douze ou treize pour semer la zizanie parmi ces gonzes armés de bazookas, qui filent tout azimut et récoltent bézef !

© Mireille/Nomade 23 novembre 2006


 


Le cygne de Puerto Natales

 

Non, le cygne n'est pas mort
Dans la lumière du soir, propice à la chasse
Avec ou sans canards il effectue sa danse
En col noir et capuchon rouge,
Sans que sur l'eau rien ne bouge
Il glisse fièrement et gracieusement
Sur l'océan glacé à deux pas du Cap Horn
Le vent fait mousser sa robe blanche
En un plongeon il exhibe les plumes de son derrière
Puis reprend son ballet avec ses congénères

© Mireille Jeanjean, janvier 2010


 

Soir de juillet


Le jour fuit la nuit
Les moteurs s'assoupissent,
Les bruits se taisent
Quelques cigales patientent en attendant l'heure du grillon
Les moustiques bourdonnent
Les couleurs s'acheminent vers un ton incertain
Le ciel conserve le souvenir du soleil
La lune s'est bien arrondie depuis hier
Chut, écoute
Une feuille crisse, une brindille casse
Le jardin est bien sec cette année
Les frissoulis se rapprochent
Un museau pointe, hésite
Un hérisson craintif ?
Non, ce dos rond et lisse…
C'est une tortue.

© Mireille Jeanjean, juillet 2011

   
   
<-- Précédent Suivant -->

Accueil | Index des phototextes | Index des textes seuls

©2000-2011 Mireille Jeanjean