En route pour le grand Sud, vers ce bout du
monde, rêve de Terre de Feu
Péninsule de Valdès
1375
kilomètres
depuis Buenos Aires, 20 heures d'autobus.
Une nuit sur la route.
Des collations
qui commencent à me lasser
Pain de mie, jambon, fromage.
Pain de mie, fromage, jambon, dulce de letche (confiture de lait)
café sucré sucré sucré.
L'Argentine aime le sucre
Alimentation
Il est difficile de manger autre chose que de la viande :
Chorizo (steak
fin, enfin si l'on veut),
lomo (steak très très épais), pollo (poulet),
jamon (jambon),
milanese (escalope
de veau comme en Italie)
Difficile de trouver des mets sans fromage. Empanadasqueso (chausson au fromage),
empanadas carne (chausson à viande),
empanadas
pollo (chausson au poulet)
Les fruits et les légumes sont rares et chers.
La viande ne coûte
presque rien
Et tout ce sucre ! alfajoras (petits gâteaux) du sucre, medialunas (croissants) sucrées,
dulce de letche du sucre,
yaourts parfumés et sucrés.
Le café est servi accompagné de trois sachets de sucre.
Sans compter que le goût sucré n'est pas toujours du sucre,
les
ersatz s'étalent sur des rayons entiers dans les supermarchés.
Puerto Madryn
Enfin la mer, l'Atlantique côté Amérique. Les plages
sont désertes.
Janvier n'est pas la période des baleines, les touristes passent leur
chemin.
En revanche les lions de mer sont légion, ils se prélassent sur
les rochers.
Parfois deux mâles s'affrontent. Le combat ne dure que peu de temps et
les voilà qu'ils s'effondrent lourdement au soleil.
Bouger cette masse doit demander une énergie incommensurable.
Néanmoins dans l'eau, ils sont aussi à l'aise que des poissons.
Debra nous a accompagnées sur le site, dans sa petite auto.
C'est chez elle que nous logeons.
Une maison sur l'océan où elle vit avec son mari et leurs deux
adorables fillettes.
Quitter la ville, filer sur la péninsule
Puerto Piramides et son parc naturel
Le colectivo (bus de proximité) est parti sans nous
L'auto-stop fonctionne bien
La route traverse un plateau sec, balayé par le vent
Au passage de la voiture, les guanacos s'éloignent et de loin nous observent
Les nandous se sauvent à toutes pattes.
De gros moutons couverts d'une épaisse toison paissent par petits groupes,
dans des enclos dont on ne voit pas la fin.
Le petit port est adossé aux contreforts du plateau sableux.
Nous suivons le chemin qui serpente entre les dunes immenses
La chaleur est forte, le sable brûlant
Les rares buissons sont poussiéreux, brûlés par trop de
soleil
Paysage désertique gris sur fond bleu de ciel et d'océan
Un oiseau ose une approche
La carapace de tatou est vide. La bête a dû faire le festin d'un
renard.
Et soudain des grognements
Là, au pied de la falaise, une colonie de lions de mer.
Les petits peinent à se hisser hors de l'eau
Un gros mâle part à la chasse
Un autre batifole avec une jeune et tendre femelle, encouragé par une
cohorte d'oiseaux de mer.
Toujours plus au sud, toujours sur la nationale 3. Au kilomètre
1674, un arrêt exceptionnel nous abandonne au milieu de nulle part.
Un bout du monde avant l'ultime.
" La route est longue à perte de vue" comme dans la
chanson de Lhasa de Sela. Je pense souvent à celle qui vient de nous quitter, à la
solitude
qu'elle exprimait et que je retrouve ici dans la steppe argentine.
Un panneau pointe vers l'Est : Bustamante 36 kilomètres. Pas de transport
en commun, juste nos jambes pour marcher et notre curiosité pour avancer.
Barda bien arrimé, visage et bras badigeonnés d'écran
total, nous nous engageons sur la piste écrasée de soleil, balayée
par le vent incessant de la Patagonie.
Un kilomètre à pied ça use, ça use …
Chanter fait du bien et meuble le silence.
Les minutes passent, les quarts d'heure défilent et soudain…
Un bruit de moteur… Une camionnette.
Un fermier et son jeune fils reviennent de la ville.
L'école est finie. Une aubaine.
20 kilomètres de repos jusqu'à l'estancia Mercedès, à onze
kilomètres du but.
Ampoules aux pieds pour l’une, tendon d’Achille
fâché pour l’autre, nous repartons.
Deux magnifiques
chevaux alezans s'approchent en caracolant, intrigués par ces curieuses
bêtes à deux pattes chargées comme des ânes.
Enfin un deuxième véhicule nous dépose devant la ferme,
au bord de l'océan. Des nuées d'oiseaux de mer décollent à notre
approche en piaillant à qui mieux mieux. Plumes au vent, une colonie
de nandous s'esquive derrière les premières maisons.
De l'ancien village de Bustamante, il ne reste que l'estancia.
Les algues ne sont plus exploitées.
Les moutons mérinos paissent sur un territoire immense, recouvert, il
y a des millions d'années, par l'océan.
Le vent balaie les étendues de sable et de galets. Du sable parsemé de
débris de coquillages et ourlé de festons d'algues.
Quelques buissons épineux parviennent à pousser et forment de jolies
touffes verdâtres sur lesquelles les fleurs jaunes du printemps se fanent
en tournant au roux. Des pousses claires d'herbes légères éclairent
le paysage. Tout cela sur camaïeu de bleu. Ciel et mer.
Huîtrier
pie (Haematopus ostralegus)
Promenade tardive jusqu'au
froid excessif
Nuit noire sous d'épaisses couvertures de laine
Promenade matinale jusqu'au chaud soleil
Retour motorisé jusqu'à la nationale
Nous, femmes et enfants d'ouvriers. Tous serrés
Encore plus au sud, il y a Comodoro-Rivadavia, la capitale
nationale du vent.
Comme des sentinelles, les éoliennes se dressent
sur les falaises de sable et tournent à perdre haleine.
Tout est
gris et desséché ici. Prenons des pesos et passons.
La prononciation argentine de l'espagnol étonne au début, on s'y habitue.
On n'habite pas la "calle" San Martin, mais la [catchao]...
Rio Gallegos devait être une simple halte, hélas les autobus
affichent complet. Nous patienterons quatre jours. Repos obligé en
compagnie d'Elise et Marlyse et bien d'autres voyageurs de tous pays
en route vers le bout du monde.
L'hospedaje (pension de famille) est agréable, Elcira
bien sympathique.
Au supermarché "Carrefour" nous
trouvons des yaourts NATURES ET NON SUCRES !
Ca se crie sur tous les toits.
Le détroit de Magellan est tout près. Le vent règne
en maître, sa puissance nous bouscule, le froid s'intensifie. Les
40°C du nord ne sont plus qu'un pâle souvenir. Quand Eole nous
permet une sortie, nous allons flâner le long de l'embouchure du
Rio, en dégustant de petits gâteaux feuilletés. Le
soir autour d'une Quilmès -la cerveza (bière)
locale- nous échangeons
nos expériences et nos projets.
Dans ce paysage sans frontière,
dans ce vent sans fin, sous ce ciel parfois si bleu, mes pensées
s'envolent vers Emma et son petit Manuel.