J’ai
quitté hier matin Bangalore et l’état
du Karnataka. Un long voyage en train jusqu’à Chennai
(ancienne Madras), capitale de l’état
du Tamil Nadu (prononcer Nadou). Ces deux noms "Chennai et Madras"
m'ont fait rêver, peut-être à cause de la chanson "Adieu
foulard, adieu Madras...",
peut-être tout simplement à cause de ce tissu d'abord
uni puis de couleurs vives fabriqué à l'origine
en Inde et expatrié plus tard aux Antilles.
La chaleur est toujours
aussi intense malgré la proximité de la mer.
Le lendemain de mon arrivée, je pars au hasard
des rues. Je découvre ces fameux temples dravidiens reconstruits
tardivement,
XVI, XVII èmes siècles avec leurs
gopuram pyramidaux sculptés sur toutes
leurs faces, souvent peints de couleurs vives ou de jaune d'or. Hélas
de l'ensemble de Adi Kesava, je n'ai pu voir que ce qui dépasse
au-dessus
des hauts murs d'enceinte. En
revanche si je ne peux accéder à l'intérieur de Kapaleeshwarar,
en tournant autour du bassin sacré, je peux voir et prendre
quelques photos, de loin au travers des barreaux de clôture.
Ceci dit, les premiers temples dravidiens
visités plus au nord m'ont laissé davantage d'émotion.
En plein midi j'aborde la
plage. Une folie. La mer n'est qu'un cordon bleu au loin. La brûlure
du sable filtre
à travers les semelles. Les
manèges d'enfants sont au repos. Quelques personnes s'abritent
de la fournaise sous des parasols improvisés. Je renonce à faire
les cinq cents mètres environ de plage, histoire de tremper mes
pieds dans le golfe du Bengale. Encore
un lieu qui m'a fait rêver. J'y reviendrai plus tard.
Sur la côte
réservée à la pêche, les
pêcheurs ont posé leurs filets, les femmes nettoient et
vendent le poissons et les corbeaux font ripaille. Ici pas de pigeons,
pas de mouettes, pas de goélands. Etonnant.
Demain je vais dans
une des plus vieilles villes d'Inde. Seulement deux heures de bus
pour atteindre Kanchipuram.
Kanchipuram, la sixième ville sainte de l'Inde sur les
sept que compte le pays. La ville des temples, pas des 1000 temples
comme on la surnomme, mais plus de cent. J'en
ai visité quatre.
Que faire dans la ville aux 1000 temples ?
Encore une journée à roder dans les temples.
A Voici au soir tombant le sommet du gopuram de 60 m du temple de Ekambareshwarar
(XVI siècle). C'était la fête hier soir. Musique danses
chants en plein air et cérémonie rituelle dans l'immense salle
hypostyle qui précède le sanctuaire ou je n'ai pas le droit
d'entrer. Il y avait aussi quelques stands de nourriture et des tapis pour
manger par terre. C'est là que j'ai mangé du chou fleur pané
et frit parmi la foule.
Avant cela j'ai visité un temple du VIII siècle. Toujours en
hommage à Shiva. Les pierres sont usées, il est parfois difficile
de reconnaître Nandi mais les monstres grimacent bien et dans les petites
niches à l'abri des intempéries et du soleil les multiples sculptures
de Shiva et Parvati ont conservé des traces de peinture.
Demain je continue, pas très loin à 2/3h d'ici
sur un site encore plus ancien qui fait partie du patrimoine
mondial de l'humanité.
A mi-chemin entre Chennai (Madras) et Puducherry
(Pondichéry), cette petite ville recèle des richesses,
merveilles archéologiques. Des monuments religieux du VIIème et
VIIIème siècle ont été érigés
par la dynastie Pallava.
Ma guesthouse au joli nom : Full Moon donne sur la mer, la plage
où viennent se poser les barques de pêche, où les
pêcheurs étalent leurs filets colorés. Le temple
du rivage est accessible à la vue par la pointe rocheuse.
Joli point de vue au coucher de soleil.
Le site se compose de trois principaux groupes de monuments dédiés à Shiva,
Vishnu et Krishna.
Le Temple du rivage, la Descente du Gange appelé aussi
la Pénitence d'Arjuna et les cinq Ratha (Pancha ratha).
Mais à côté de cela, éparpillés autour de
l'agglomération et dans la colline qui porte l'ancien phare, se trouve
une quantité de temples, certains excavés.
La colline, qui m'a rappelé le site d'Hampi, possède un énorme
rocher (la boule de beurre de Krishna) impressionnant d'équilibre.
Ce mot me faisait rêver enfant quand en cours de géographie
le maître nous parlait de ces comptoirs français si loin
de notre pays. Je ne pensais jamais y aller un jour.
J'espérais trop de cette ville. Mal entretenue, plutôt sale,
brouillonne. Beaucoup d’églises et d’institutions chrétiennes.
Beaucoup de misère, de handicap. Bien plus que les trottoirs de Bombay.
36°C, la chaleur est insupportable. Sur la "Croisette" le
petit vent du large est bienvenu.
Je m'attarde autour du monument dédié
à Gandhi.
Cette nuit le ventilateur tournera à plein
régime surtout si les quatre lits du petit dortoir sont
occupés.
J'espère
que le lancier du Bengale restera bien tranquille contre son mur et
que tous les autres gens
célèbres collés aux coins
des rues de la ville ne se réveilleront
pas d'entre les morts.
J'aurais aimé prolonger mon séjour pour assister
au week-end de la francophonie organisé par
l’Alliance française.
Hélas la guesthouse affichait
complet !
Célèbre par le temple dédié à Shiva
qui danse (Nataraja), la petite ville de Chidambaram est un haut lieu
de L'hindouïsme. Commandé sous la dynastie
Chola, le temple de Nataraja a vu le jour au XIIème
siècle.
On fait parfois de drôles de rencontres en voyage. J'attendais
l'ouverture du temple. Parmi la foule patiente, un jeune indien en voyage.
Nous avons engagé la conversation au cours de laquelle, il m'a parlé des
gilets jaunes !
J'arrive
assez tard à Tanjore
et après
avoir trouvé un hébergement pour la nuit, je me précipite
au temple de Brihadesvara construit au XIème
siècle
sous la dynastie Chola. Un temple dravidien comme je les aime, sans
ces peintures flashy comme la plupart des temples de la région.
Le soleil descend, la lumière rasante met en valeur la pierre rose
ocrée. C'est magnifique. De nombreux
habitants, des étudiants aussi s'ébattent ou se reposent
sur les pelouses. C'est gai.
Le lendemain matin, j'y suis retournée. Au soleil levant et dans une
relative fraîcheur
de 28°C ! Heureusement car vers 10h, une multitude de groupes de
touristes entrait alors que je
quittais les lieux pour aller prendre un petit dej' .
Le vimana du temple est impressionnant avec ses 70m de haut.
Le temple est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Quatre heures de bus suffisent pour aller de Tanjore à
Madurai, la plus grande ville du sud, côté Tamil
Nadu.
Alors que je découvrais la ville à pied, j'ai retrouvé
deux françaises rencontrées à Tanjore. Le soir,
au temple, nous avons assisté au retour de la lune de miel de
Shiva et Parvati. Parvati est arrivée dans sa chaise à porteur,
bien cachée et
inlassablement ventilée par un fidèle. Tambours et trompettes
résonnaient dans l'immense et magnifique temple. Après
avoir attendu longtemps, les porteurs l'ont emportée dans un lieu
où seuls les hindous ont le droit d'entrer. Il y avait foule hélas
pas de Shiva.
Pas de photos non plus. Prohibited !
Le lendemain matin je suis retournée au temple pour
un rapide coup d'oeil. En contournant le sanctuaire, j'ai rencontré l'éléphant.
C'était l'heure de sa promenade. Il était attendu par les
pèlerins venus avec une gâterie gustative, en échange
de quoi ils recevaient sur la tête une caresse de la trompe.
A la suite de ça avant que la chaleur ne devienne insupportable,
je suis allée en bus à Thirupparamkuram, un petit
village bien sympathique à 8 km d'ici. Le but était
de grimper au sommet d'une colline. Quelle ne fut pas ma surprise de
voir un cortège religieux fait de femmes portant des victuailles
sur la tête. Là encore la fanfare était de rigueur.
J'ai suivi. Un participant m'a posé un peu de poudre blanche sur le front.
Tout le monde était
ravi et se laissait filmer et photographier avec force sourires.
La grimpette dans la colline entre les rochers blanchâtres fut rude,
la pierre reflétant
la chaleur. Je ne sais combien de marches j'ai gravi pour admirer
un paysage
aride et quelques rizières pas encore en eau et quelques
lopins de terre verdissant.
De retour en ville, j'ai visité rapidement un ancien mandapa
devenu marché et
atelier de couture. Les hommes, uniquement, alignés devant leur
machine, genre singer du début du siècle dernier, font
des merveilles en tout genre.
Madurai a beau être une grande ville, difficile de trouver un ATM (distributeur
d'argent). J'ai vu le moment où je
dormirai
dans
la rue, le ventre vide.
Je n'ai pas essayé ce style de toilette faute de monnaie.
Demain
matin
lever
aux
aurores.
Le
train
qui m'emmènera à Rameswaram part à 6h50. Je dois être à la
gare une heure avant pour acheter mon billet. Pas de réservation
possible.
Suis-je séduite par la ville ? Au premier abord, non.
-
Il y a
fatigue : lever 4h, longue attente à la gare, et ce train qui
avance si lentement surtout sur les deux derniers kilomètres qui
séparent
le continent de l'île de Rameswaram. Là où les rails
sont juste posés sur des piles en béton.
- La difficulté de trouver une chambre
- La touffeur déjà intense à cette heure matinale
Qu'à cela ne tienne, je tourne le dos au temple et me dirige
vers la mer. L’eau
transparente paresse au bord de sable blond où s’entassent
des tissus abandonnés là.
Les innombrables chalutiers se laissent doucement bercer et les petits
pêcheurs
nettoient et rangent leurs filets près de leurs minuscules embarcations.
La chaleur voile l’horizon, j’ai beau écarquiller
les yeux, Sri Lanka se perd entre ciel et mer.
Plus loin je découvre une plage
très spéciale. Je suis devant l'Agni Theertham. C'est là
que les pèlerins qu'ils soient Vishnouïstes ou Shivaïstes
viennent se purifier.
Alors que
je cherche un éventuel
bus, un taxi m’aborde. Le conducteur me propose de m'emmener au
bout du monde. Ok. Il accepte de baisser son prix et nous voilà partis.
Une
langue
de sable
qui
s’avance
jusqu’à 18
km du Sri Lanka. En plus des étendues
d’eau, des multitudes d’oiseaux dont des flamants roses.
Mais tout n'est pas rose, il y a aussi ce qui reste du village de Danushkodi
après le passage du cyclone de 1964. Des pans de mur, la structure
de l’église,
une bonne partie de la station de train. Bref un endroit désolé qui
malgré cela dans la lumière de fin d’après
midi est plein de charme
et de calme.
Quant au temple et sa source sacrée, vous en saurez plus en lisant
la suite.
Pourquoi et de quoi vient-on se purifier à Rameshwaram
?
Pour le savoir, il faut relire le Ramayana, l'épopée de Rama.
Je vais vous la conter à ma façon.
Dans un temps hors du temps, Vishnu le
gentil Dieu, s’inquiétait
du haut de son paradis du climat qui régnait sur la terre.
Conflits d’intérêts, inégalités,
rivalités, jalousies, querelles, magouilles en tout genre.
Il voulait remettre de l’ordre dans le monde avant le déclenchement
d'une nouvelle guerre. Que faire quand on est Dieu et qu’on
doit rester chez soi avec ses petits copains dont certains très
méchants.
Il chercha donc un moyen d’envoyer un avatar quand il apprit que Dasaratha
le vieux roi d’Ayodhya se désolait de n’avoir pas encore d’héritier.
Vishnu sauta sur l’occasion et quelques mois plus tard naquirent quatre
petits princes dont Rama.
Quand le beau prince fut en âge de convoler,
il épousa Sita, la jolie princesse du royaume de Mithila. Mais avant
cela, il dut satisfaire l'épreuve imposée par le roi Janaka,
père de Sita : soulever et bander l'arc de Shiva.
Mais voilà, il y a toujours des démons
pour mettre des bâtons dans les roues et briser les gens heureux.
Et celui-ci, Ravana, était des plus terribles. Capable de
changer d’apparences multiples… En outre par ses prières
il avait obtenu de Shiva des pouvoirs afin d’être invincible.
Sûr de lui, il captura la jeune épouse, l’emmena
dans son royaume de Lanka dans l'espoir de l’épouser.
Rama fit
appel à ses amis pour monter une armée
afin d’aller
libérer sa belle. Parmi ses amis il y avait le dieu-singe, l'habile
Hanuman commandant de l'armée du roi des singes.
Hanuman retrouva Sita mais ne put la ramener.
Rama construisit un pont (le Rama Sétu) de l'actuelle Rameshwaram à Lanka.
Une terrible bataille s'ensuivit. On ne comptait plus les morts et les blessés.
Rama lui-même fut touché mais grâce à Surya le dieu
du soleil il retrouva ses forces et tua Ravana, l'horrible démon. Mais
comment fut-ce possible, lui l’invincible ? Eh bien parmi ses prières à Shiva,
Ravana oublia de demander d’être protégé des hommes.
Rama était
un homme !
Mais alors il fallait maintenant se prémunir contre les éventuelles
représailles de Shiva.
De retour de l’île de Lanka, à peine le pied posé sur
celle de Pamban toute proche du continent, Rama construisit un sanctuaire pour
honorer le dieu Shiva et expier le meurtre du roi Ravana.
Hanuman
Voilà le Ramayana, l’épopée
de Rama réduite
au minimum.
Depuis ce temps, une ville a poussé, la bien
nommée Rameshwaram,
un temple s'est élevé (Ramanathaswamy) qui accueille à longueur
d'année
des milliers de pèlerins qui viennent racheter le crime de Rama
aux yeux de Shiva en se purifiant par l’eau sacrée qui coule
dans le temple et en se plongeant ensuite dans la mer.
La ville la plus au sud de l'Inde, sur le cap Comorin.
Là, trois mers s'y recontrent : mer d'Arabie, mer des Laquedives
et Golfe du Bengale. Toutes trois forment la partie nord de l'océan
Indien.
Quand j'arrive au petit matin après une demi-journée et une nuit
en train un cadeau m'attendait
:
un splendide
lever
de soleil.
Les levers et couchers
de soleil sont splendides et très prisés par les Indiens.
Le soir, ils arrivent en masse à pied, en tuk-tuk, en bus, en
auto individuelle. Un point de vue imprenable, plein ouest. Les téléphones
portables crépitent, flashent. Un groupe de femmes
entonnent ”Om J'ai Jagdish Hare”. Je reconnais cet
air entendu lors des cérémonies de l’Aarti à Varanasi
et à Haridward. Machinalement je me mets à fredonner.
Les environs récèlent de beaux coins. Il y a des sortes de canaux plus
ou moins avec accès à la mer. Des petits villages de pêcheurs blottis sous
la verdure. Un paradis pour les
oiseaux.
C'est là que j'ai découvert la cigogne indienne. Moins jolie que celle
qui emmène les bébés chez nous !
Demain, 30 mars, je quitte le Tamil Nadu pour le Kerala.
Je referai une étape dans cet état lors d'un trajet en
train spécial pour aller à Ooty.