1. Des couleurs à la fenêtre
  2. Expédition en Danakil
  3. Chronique d'une famine annoncée
  4. En attendant la pluie
  5. Ethiopie, la route historique
  6. Nations, nationalités, peuples du sud/ La basse vallée de l'Omo

 

   
 

Des couleurs à la fenêtre


A court d'inspiration, je lève la tête, mes yeux rencontrent la fenêtre et plongent dans le bleu profond du ciel. Pas un souffle de vent ne vient troubler le feuillage des grands eucalyptus. Difficile de voir autre chose de cette petite maison bariolée, accrochée au flanc de la colline. La route, loin en contrebas, n'offre qu'un cordon infini de silhouettes blanches. De temps en temps un bus jaune déverse un flot de passagers qui va rejoindre cette procession. Il y a aussi les taxis bleus, vieilles guimbardes, qui, a bout de souffle, crachant des vapeurs noires de fuel, grimpent la côte sans s'arrêter. Des cris joyeux, c'est la sortie des classes, une bande rugissante d'enfants se précipite dans la rue, le quartier se colore d'uniformes pourpre.

A mesure que la journée s'avance, des nuées blanches montent dans le ciel. D'abord légères, elles s'épaississent, grisaillent la voûte, cachent le soleil. Quelques gouttes de pluie ravivent les couleurs, les oiseaux se donnent rendez-vous dans le jardin.

Un serin entame une toilette forcenée dans la flaque retenue sur le couvercle rouillé d'une citerne, sous l'œil indifférent d'un pigeon assoiffé.

Noir brillant avec des reflets tantôt verts, tantôt violacés, un souimanga fouille de son long bec recourbé le cœur rose d'une fleur d'hibiscus.

Un long cri aigu attire mon regard vers l'ensete. Un tisserin gendarme est venu chercher de la matière pour tresser son nid suspendu. Déjà il repart, une longue fibre au bec.

Dans le ciel redevenu léger, les milans ont repris leur ronde parfois troublée par un couple de corbeau-pie.

Tache turquoise métallique, sur l'herbe luisante d'humidité, un choucador attend. Prudence ou stratégie, son œil jaune fixe, immobile, et hop, d'un rapide coup de son bec puissant il saisit sa nourriture. Graine de café, insectes ou autres vers ? Déjà il reprend sa pause.

Mon regard indiscret a déniché un couple de colious rayés. Plumage ébouriffé, huppe folle, ils s'ébattent. Chronique d'une vie annoncée.

Rapides, criardes, en vol groupé, les amarantes rouges préfèrent le sol nu sous la grande bougainvillée mauve, plus facile de dénicher les minuscules gourmandises parmi les minuscules cailloux gris. Les voilà déjà reparties vers une autre destination. Ont-elles eu peur de ce bel oiseau qui vient de se poser sur le genévrier ?

Port de monarque, belle traîne blanche, ce tchitrec mâle accompagne sa progéniture. Deux oisillons en premier voyage. Ils piaillent, ouvrent le bec, la mère approche avec les provisions. Plus discrète que son époux, bien belle cependant dans son plumage brun orangé. Sa tête d'un noir bleuté porte une huppe et sa queue se déploie en éventail. A tour de rôle, père et mère viennent nourrir les petits.
Qu'il est beau le mâle en vol, il ondule comme une vague.
On se croirait au paradis.

Le ciel a pris ses couleurs du coucher, l'horizon à l'Ouest est comme un gigantesque arc-en-ciel dont les fils auraient été emmêlés par quelque tour de magie, tandis que l'Est déroule le voile noir du sommeil. La nuit tombe vite sous ces latitudes.

Remplis de couleurs et de rêves, mes yeux retombent sur la page restée blanche. Mais déjà les mots affluent, les phrases se forment, l'esprit reprend corps, à peine troublé par les chants religieux qui s'élèvent des centaines d'églises de la ville.

© Mireille Jeanjean le 8 septembre 2006

 

 


ETHIOPIE / Expédition en Danakil : l'Erta Alé et le Dallol pour Le Soleil de Québec
http://www.cyberpresse.ca/article/20071224/CPVOYAGES/712151320/1016/CPVOYAGES


L'Ethiopie, dans la corne de l'Afrique, en plus d'être le berceau de l'humanité, est un pays de contrastes qui s'étage de 125 m au-dessous du niveau de la mer jusqu'à 4600 m d'altitude au Mont Dashen. C'est dans la région des Afar appelés aussi Danakil, dans ce désert essentiellement au-dessous du niveau de la mer que nous nous sommes aventurés pour approcher et admirer l'activité volcanique et hydrothermale du Dallol et de l'Erta Alé.


Awash au Sud, Erythrée au Nord, Djibouti à l'Est , délimitent un triangle : le triangle Afar ou Danakil, dans le Nord-est de l'Ethiopie. Voyager dans cette région tient plus de l'expédition que d'une balade du dimanche. C'est une des contrées les plus chaudes du Monde, une dépression qui atteint 125 mètres au-dessous du niveau de la mer, un désert où quelques plantes rachitiques se disputent une place au soleil dans cet espace livré aux tourbillons de poussière, aux étendues de basalte, aux jeux de lumière sur les cristaux de sel ou les blocs d'obsidienne (cœur de pierre de lave, noir brillant, luisant, tranchant comme une lame). C'est dans ce coin-là que trois rifts se sont donné rendez-vous : Mer Rouge, Golfe d'Aden et le Rift africain. Région hautement sismique, éruptive; pourtant des hommes vivent là dans des huttes qui épousent la couleur de la terre. Un peuple rude, libre et fier, des éleveurs semi-nomades : les Afar.
Cette région abrite aussi des fossiles d'hominidés dont le plus célèbre, l'australopithèque afarensis "Lucy", a été découvert à Hadar en 1974.
Si je vous emmène là aujourd'hui, c'est pour visiter le lac de lave du volcan Erta Alé, l'activité géothermale du Dallol et les sauniers qui exploitent le sel du lac Karoum.

 

L'approche : un jour de route, un jour de piste


Nous sommes partis, douze voyageurs, trois véhicules 4X4, deux chauffeurs éthiopiens connaissant bien le parcours. Des réserves d'eau, de nourriture, de carburant pour plusieurs jours, sacs de couchage et minces matelas de camping. Les autorisations dûment signées, il ne manquait que les deux gardes afar armés chacun d'une kalachnikov et le guide, un afar également. Trois accompagnateurs obligatoires que nous embarquerons à Semara, capitale de la région.

La première partie du voyage traverse un paysage vert et vallonné. La route longe le chemin de fer qui relie Addis-Abeba à Djibouti depuis 1917. Une halte à l'ancien buffet de la gare d'Aouache, transformé en hôtel restaurant, permet de nous rafraîchir et déguster quelques spécialités éthiopiennes : tibbs, injera mais aussi des pâtes à la mode italienne, car l'Italie a occupé le pays de 1936 à 1941.
Après Awash, nous bifurquons vers le Nord. La végétation se fait rare, la chaleur augmente. La route sera longue jusqu'à Semara. Demain fini l'asphalte, fini l'infernal va-et-vient des camions.

Une piste nous entraîne dans le désert. Paysage aride, arbustes épars poussiéreux, et à perte de vue des cailloux, des gros, des petits comme ceux qui sautent sous les roues de la voiture. Au loin se profilent des sommets, volcans au repos. La piste avale les montées, les dépressions, longent des villages : quatre ou cinq huttes rondes et basses, structures en branchages recouvertes de nattes de palmes tressées. A l'écart, sur une butte, se dressent les weidal, des tombes circulaires hautes d'un à deux mètres construites en pierre. Pas âme qui vive, aucune trace d'eau, les habitants ont dû partir avec leurs chèvres à la recherche de pâturages. Lait de chèvre ou de chamelle et galette de céréale sont la base de l'alimentation des Afar.

L'eau, nous la trouverons en fin de journée. Une étendue turquoise, émeraude selon l'angle : le lac Afdera, bordé d'écume de sel. Les cônes volcaniques s'y reflètent, ainsi que des palmiers. En son centre, l'île la plus basse du monde, -100 m au-dessous du niveau de la mer. Tout autour, des salines. Les étendues de sel scintillent au soleil couchant. Le soir n'interrompt pas les allées et venues des ânes chargés de jerricans. Une source d'eau douce et chaude vient se mêler à l'eau salée du lac. Le vent du Sud se lève, violent, chaud et sec. Difficile de fermer l'œil cette nuit-là dans notre abri sommaire.

 

Erta Alé


Chaque jour la chaleur se fait plus intense, le degré hygrométrique est très faible pour ne pas dire nul. On ne compte plus les litres d'eau engloutis et pourtant ni on ne transpire, ni on n'urine ou si peu !
Le plus chaud nous le relevons dans l'oued où nous nous arrêtons pour réserver deux dromadaires. Il est13 h, le thermomètre affiche 58 °C au soleil. Des garçonnets sont là pieds nus dans le sable surchauffé, les fillettes se tiennent à l'écart, drapées dans de jolis voiles à dominante rouge. Les hommes en longs pagnes vivement colorés négocient, avec nos accompagnateurs, le prix des chameaux. Des mirages au loin font danser d'hypothétiques arbres. L'air chaud trouble la vision et pourtant ce sont bien des autruches qui détalent à toutes jambes.
Nous ne les suivrons pas, notre objectif pour l'heure est l'ascension du volcan Erta Alé, la montagne qui fume en dialecte afar.

16h15, quatre litres d'eau (chaude) par personne, nous "décollons" pour gravir les 700 mètres de dénivelé qui nous séparent de la caldeira. La pente est douce, mais la chaleur importante rend éprouvante cette montée. C'est à la lampe frontale que nous parviendrons au sommet 2h30 plus tard pour les plus vaillants, 3h pour les derniers. Quant aux dromadaires, il faudra attendre 23 h bien sonnés pour les voir arriver avec provisions et matériel de camping.
Malgré la fatigue, comment résister à l'attrait de cette lueur rouge qui flotte à l'intérieur de la caldeira ? Les premiers arrivés sont déjà là-bas, nous les rejoignons en empruntant le sentier étroit et glissant qui descend le long de la paroi verticale. Quelques mètres sur les anciennes coulées de lave, croûte fragile qui résonne sous nos pas et nous voilà au bord du puits Sud, un "pit crater" de 140 mètres de diamètre. Là, nous attendait un spectacle émouvant, beau à couper le souffle. Cent mètres au-dessous de nous, au fond d'un gouffre noir, des lignes de feu rouge orangé zigzaguent, s'étirent, se croisent, se joignent, se disjoignent. Parfois une bulle de magma éclate à la surface et une fontaine de lave jaillit. De notre observatoire, au bord du cratère, nous sentons le rayonnement plus intense de la chaleur. Une rumeur rappelant le battement des vagues sur la grève accompagne le mouvement de la lave. Puis tout semble se calmer et ça recommence. Un kaléidoscope dont il est difficile de détacher les yeux.
On aurait pu passer la nuit à regarder battre le cœur de la Terre, si le vent ne s'était levé, apportant les fumeroles irritantes qui s'échappent du puits Nord, un autre "pit crater" dont le lac de lave est solidifié depuis 3 ans.
De tous les côtés, on entend tousser. Il y avait foule autour du lac de lave : des Italiens, des Français, des Britanniques. Les guides, les gardes et les chameliers afar se sont abstenus. De vieilles croyances leur font craindre la présence d'esprits malfaisants. Ils dormaient déjà quand nous sommes sortis de la caldeira.
Tout ce petit monde a passé la nuit à la belle étoile, entre les blocs de lave, dans la poussière, sous un ciel rempli d'étoiles, dans un silence profond.

Dès les premières lueurs du jour, je me suis précipitée à nouveau dans l'enclos du volcan. Le lac de lave continuait à bouillir, alors que le soleil pointait, découvrant un décor extraordinaire. Une étendue grise couvre l'intérieur de la caldeira. Toutes les variétés de lave sont réunies ici :lave cordée, lave plissée, lave pahoehoe (fluide et lisse), lave à grattons. Des hornitos se dressent, certains fument, d'autres cachent des fleurs de soufre. Quel esprit est venu ici sculpter la matière d'autant de formes ? N'est-ce pas la déesse Pelé ? J'ai aperçu dans un creux des mèches de ses cheveux. De prime abord j'ai pris ces fins filaments de lave pour de l'herbe sèche ! Mais ici point de végétation, tout comme dans le Dallol.

 

Le Dallol


Le Dallol à quelques kilomètres de là, est un volcan qui a explosé en 1926. Il est le siège d'une intense activité hydrothermale. Inutile de grimper pour y parvenir, il est au niveau du lac salé Karoum. Cet ancien cratère est un patchwork de couleurs et de formes. Le sel, l'eau, le soufre, la potasse, les oxydes de fer se mêlent, forment des terrasses ocre, des concrétions jaune orangé, des vasques remplies de liquides acides où les bleus et les verts étalent une riche gamme de nuances. Et ça glougloute et ça siffle. Des jets de vapeur s'échappent de minuscules cheminées, de l'eau chaude bouillonne et déborde d'un dôme de billes de sel d'un blanc éblouissant, de petits geysers jaillissent. On ne sait plus où regarder, chaque parcelle de terrain attire le regard. Toutes sortes de formations géologiques, construites par les bactéries qui se développent dans les mares d'eaux chaudes, habillent le sol. Ici on dirait des champignons, là des plateaux semblables à des feuilles de nénuphars géants, des serpentines, des socles aux allures de dalles de marbre, des dentelles minérales…On s'imagine vite assister à la naissance de la Terre.
Des pans de falaises sont visibles sur une partie de la zone et forment un labyrinthe hérissé de cheminées de fées et de sculptures de géants. Un long canyon au sol rouge brun (mélange de boue mêlée à du sable), débouche sur le lac. Cette région a été plusieurs fois envahie par la mer et les différentes couches de sel alternent avec les sédiments.

 

Le lac salé

Le sel, ce n'est pas ce qui manque. Le lac Karoum, appelé aussi Assalé, est une mine de sel exploitée dans des conditions extrêmes. Quelle résistance faut-il pour travailler ainsi, sous un soleil de plomb, les pieds nus dans l'eau salée. D'abord, à la hache, on fend la croûte de sel à la surface du lac, ensuite trois ou quatre hommes insèrent leurs bâtons dans la fente, un jeu de levier permet de détacher et basculer un large bloc de sel, d'autres sauniers taillent alors à la hachette des plaques de 20 X 30 cm environ.Les plaques de sel sont empilées, liées et chargées sur des dromadaires ou des ânes.
Quotidiennement, des caravanes partent emmener le sel vers les hauts plateaux de l'Ouest. Long voyage à travers les oueds, les pistes rocailleuses, les cols et les vallées afin d'atteindre Mekele, principal marché à sept jours de marche lu lac..

Avec nos véhicules, nous ne mettrons que deux jours, deux dures journées, pour atteindre la ville et deux autres jours pour rejoindre Addis-Abeba. Mais rien ne pourra ternir les images gravées dans nos têtes, l'impression d'avoir vécu quelque chose d'exceptionnel, d'extraordinaire, d'inédit. Le sentiment d'avoir approché le cœur de la Terre, d'avoir pénétré l'intimité de notre planète et découvert quelques secrets magiques de sa naissance et de sa vie.

© Mireille Jeanjean pour le Soleil le 24 août 2007

 

 
Chronique d'une famine annoncée


Absente la chanson de pluie
Absente la rosée du matin
Le vent emporte la terre
La récolte réduite en poussière

Les zébus décharnés errent parmi les pierres
Certains ont déjà franchi la frontière
Celle de la vie
Les hyènes sont venues chercher pitance, dans la nuit
Leur rire effrayant m'a tenu en éveil
Ce matin c'est au tour des vautours
En voilà qui ne souffriront pas du manque

Ils sont légion dans la capitale, ces animaux à deux pattes
Dans leur palais approvisionnés
Yeux fermés sur la misère
Profitant de la misère

Ce n'est pas demain qu'ils tomberont sous les coups du soleil,
Les coups du sort sont réservés à ceux qui dorment dehors
Qui grattent la terre sous le soleil de plomb

© Mireille Jeanjean 5 juin 2008
 

 


En attendant la pluie


Le puits Borana


L'eau monte de main en main, depuis les profondeurs de la terre. Un chant, comme une litanie, accompagne les gestes et donne la cadence. L'écho gonfle et s'amplifie contre la paroi. Enfin l'eau surgit. L'abreuvoir se remplit. Le bétail est là, impatient.

 

 

Les climats


Vent et soleil. Où est la pluie ?

 

 

Famine annoncée


La récolte est brûlée
Les zébus décharnés
La nuit, les hyènes viennent faire bombance
Le jour laisse place aux vautours voraces
Zelalem creuse les sillons pour la prochaine pluie
Sa femme, en ville, s'en est allée, mendier quelques birrs
Ses enfants ont perdu la force de pleurer
Vie de misère

 

 

Le pluviarus


Maman, on va au pluviarus ?
Bonne idée, nous sommes toute déshydratées.
Les yeux de Mélanie vont de la peau sèche de ses bras à la peau parcheminée de sa maman.
Regarde c'est quoi ce nouvel appareil ?
Une machine à pluie.
Pourquoi il ne pleut plus jamais ?
Un jour peut-être la pluie reviendra…

 

 

Plan hors sec


Panique hier soir dans la ville où des nuées noires ont envahi le ciel, laissant échapper une quantité impressionnante d'eau. Ce phénomène, appelé pluie, et décrit dans les archives du troisième millénaire, n'est donc pas une légende. L'absence d'eau a été la cause de la disparition des civilisations qui attendaient dans l'inertie qu'elle tombe du ciel.

 

 

Haïku


Posé sur la ville
Un nuage gris attend
Sombre héros ?

© Mireille Jeanjean 14 juin 2008

 

 


Ethiopie, la route historique (Reportage paru au Soleil de Québec et sur Cyberpresse/voyage, avec quelques coupes :-) )

 

La route historique, douze jours époustouflants, 3000 kilomètres environ dans un décor sans cesse renouvelé, sur des pistes malaisées et poussiéreuses. L'asphalte, quand on le retrouve est doux comme un tapis de laine.
Bien sûr il eut été possible de couper court en empruntant les avions qui relient Addis-Abeba à Lalibela, Axoum, Bahar-Dar ou Gondar, et s'immerger tout de suite dans l'Histoire ancienne de l'Ethiopie. Mais comme il aurait été dommage de se priver de la beauté des paysages, de la vie des peuples qui les habitent.

 

Un environnement hors du commun


Boisés, ras, rocailleux, partout les sols sont cultivés. Et quand la pente est trop forte, on bâtit des terrasses. Les pierres, ce n'est pas ce qui manque ici et le courage non plus. Des escaliers de géants s'enroulent autour de la montagne. Toute une gamme de bruns, roux, verts émaille le paysage.

En mars, la moisson est finie. Les meules, tantôt rondes, tantôt pointues éclairent les champs d'un jaune lumineux. Près des fermes, le battage va bon train : à la main ou à l'aide des animaux.
Déjà les laboureurs s'activent, les champs doivent être prêts pour l'ensemencement, avant le mois de juin, début de la saison des pluies.

Des hommes, araire sur l'épaule, guidant des ânes lourdement chargés, des femmes, dos courbés sous le poids des cruches d'eau ou des fagots de bois, des enfants de tous âges sur le chemin de l'école quand ce n'est pas bâton en main surveillant un troupeau de zébus ou de chèvres. De l'aube au crépuscule un cordon humain avance le long des chemins.

Sorti d'Addis, fini les baraques de tôle, fini aussi les nouveaux buildings en béton et les anciennes maisons en pierre de l'époque italienne. L'habitat traditionnel reprend ses droits : huttes rondes surmontées d'un toit pointu en paille au travers duquel s'échappe, au petit matin, la fumée du foyer intérieur. Sol de terre battue, armature en branches d'eucalyptus, torchis pour colmater les interstices et faire obstacle à l'air frais. Car même si on se trouve tout près de l'équateur, le froid pince au-delà des 2500 m d'altitude.

Parlons-en de l'altitude. Entre Debré Birham et Kombolcha, la route ne cesse de grimper et soudain dans le froid vif des 3200 mètres d'altitude et la brume des sommets, se découpe une faille : la "fenêtre afar". Elle s'ouvre sur un impressionnant précipice bordé de minuscules fleurs blanches. Tout au fond brillent les méandres de la rivière Awash.
Des enfants se précipitent pour nous vendre d'amusants chapeaux de laine qui portent encore la forte odeur de suint.

Il faudra deux jours de 4X4 pour atteindre Lalibela à 700 km d'Addis.
On prend son temps, on s'arrête admirer les babouins gélada qui caracolent dans les escarpements des falaises, crinière au vent et poitrail arborant leur fameuse tache rouge, comme un cœur à ciel ouvert.

Le passage dans une agglomération est l'occasion de déguster un buna (café en amharique) ou un jus de fruit "à étages" (avocado, manguo, papaya) sans eau, juste la pulpe et quelques gouttes de lomi (citron). Ou encore l'injera (plat national) et même des spaghettis sauce bolognaise et berbéré (piment)

 

Lalibela, ses églises monolithiques


La piste vers Lalibela grimpe sur les hauts plateaux. 1400 mètres de dénivelée et 20 km pour atteindre une étendue désolée, un espace rocailleux livré au vent. A mi-pente, ruisselle une eau sacrée. Tous les conducteurs s'arrêtent pour s'asperger d'eau bénite, déposer leur obole dans le petit autel et s'assurer ainsi d'un bon voyage.

La religion est très présente en Ethiopie. Du haut de ses 2600 mètres d'altitude, l'ancienne Roha en est une des preuves. Rebaptisée Lalibela ("Les abeilles reconnaissent sa souveraineté"), du nom du roi éthiopien qui fit tailler dans le tuf, à la fin du XIIe siècle, onze églises.
Le site est en quelque sorte la reconstitution de Jérusalem. Le Jourdain, la colline des 7 oliviers, le Sinaï, le Golgotha… Tout y est. Les fresques sur les murs illustrent l'ancien et le nouveau testament. Tout cela conservé depuis plus de 800 ans. Outre l'iconographie, il n'est pas rare de trouver des gravures en creux et en relief, croix, étoile de Salomon…
Ville sainte de l'Ethiopie, Lalibela accueille des milliers de pèlerins lors des grandes fêtes chrétiennes orthodoxes.

Nous avons choisi Mas, un guide francophone, pour nous conduire dans ce labyrinthe qu'est Lalibela. Mas a étudié auprès des prêtes et nous apporte toutes les précisons propres à chacun des édifices.
On ne compte pas les tranchées, les tunnels plus ou moins longs, plus ou moins étroits et bas, les portes dérobées, tout un système pour aller d'un sanctuaire à l'autre au-dessous du niveau du sol. Et tout ça sans se mouiller les pieds, même en saison de pluie, grâce aux plans inclinés et systèmes de canalisation. Les pieds parlons-en ! Onze fois ni plus ni moins nous avons dû poser nos souliers avant de pénétrer dans les lieux saints.

Des églises extraites de la terre, il faut voir ça ! Le monument a d'abord été excavé, un bloc brut, ensuite les façades ont été travaillées et font apparaître pilastres, corniches, piliers, fenêtres, portes. Certaines fenêtres sont aveugles. Celles qui ont été percées ont permis d'évider le bloc et de pénétrer dans le roc afin de modeler les volumes intérieurs: coupoles, voûtes, arcs, piliers, nefs, chapiteaux, tout ce qu'on peut voir dans une basilique. Le sol est généralement incliné pour permettre l'évacuation de l'eau. De petits canaux courent entre les différents blocs, canalisent l'eau vers des citernes ou directement dans le grand canal qui sépare les églises du nord des églises du sud et qui n'est autre que le Jourdain.

En plus de ces deux groupes de sanctuaires, il y a Biéta Ghiorghis (la maison de Saint-Georges). C'est de loin la plus émouvante.
A l'écart des autres, il faut grimper sur le plateau pour voir ce monolithe de 11 mètres de haut se dresser dans une excavation profonde de 12 mètres. Quelle féerie quand les rayons du couchant ravivent le grès rose de ses murs, ombrent les nuances de lichens qui l'habitent depuis 8 siècles et dégagent avec netteté l'imbrication en creux et en relief des croix qui ornent son sommet.

Taillé en forme d'une croix grecque le monument offre douze façades. Dans la partie supérieure, les fenêtres ogivales, surmontées d'une palme et d'une croix, s'ouvrent sur la cour fermée aux murs percés de trous. Autrefois tombeaux, parfois abris pour les pèlerins, ces niches sont occupées par des moines ermites. On entre dans l'église par un escalier de sept marches. Comme à l'extérieur, l'intérieur est en forme de croix. Au rez-de-chaussée, les fenêtres sont aveugles (l'église étant considérée comme l'Arche de Noé, il fallait éviter que le flot n'entre en son sein).
Les ouvertures sont ornées de "tête de singe". Détail architectural venu d'Axoum qui laisse apparaître une poutre à chaque angle.

Dans les églises, des tentures dissimulent les passages interdits comme l'accès au Saint des Saints, protègent certaines fresques de la lumière ou en interdisent la vue, comme à Biéta Medhane Alem (maison du Sauveur du Monde). En effet, selon la légende, le Christ est apparu appuyé contre le premier pilier de l'église. Il y aurait laissé des traces, des inscriptions susceptibles de disparaître pour toujours si un seul regard se pose sur elles.
Au sol des tapis, des nattes ou simplement de la paille recouvrent la roche. Accrochées à différents endroits, de clinquantes horloges indiquent des heures fantaisistes. Ici et là, pêle-mêle, des bâtons de prière, des cistres et des tambours attendent l'heure de l'office. Des parapluies espèrent une cérémonie pour déployer leurs couleurs vives et leurs lamées . Et partout les prêtres se prêtent à la pause photos avec dans les mains croix et manuscrits anciens. En échange de quoi quelques birrs (monnaie éthiopienne) amélioreront l'ordinaire.

Après cette journée culturelle bien remplie, nous nous retrouvons autour d'un tedj. C'est une sorte d'hydromel, une boisson fermentée à base de miel. A Lalibela, ville des abeilles, le tedj ne peut être que délicieux.

 

Axoum entre Histoire et légendes

L'étape suivante sera Axoum à des km à travers le Tigré, ses montagnes tabulaires, ses pitons volcaniques, ses orgues de basalte. Des km sans rencontrer âmes qui vivent, sauf quelques singes et de petits calaos qui s'envolent à notre approche.
Cette région, frontalière avec l'Erythrée, garde les traces des guerres successives et notamment du Derg (dictature militaire conduite par Mengistu). Ici et là, abandonnés à la rouille, des chars témoignent de ces années noires.

Nous ne pouvions traverser le Tigré sans visiter quelques unes de ces églises rupestres, creusées dans les falaises. Des centaines de sanctuaires, certains interdits aux femmes. Il y a aussi ceux qui se visitent après de vertigineuses ascensions.
Petros et Poulos, n'a rien de bien vertigineux, une petite escalade cependant nécessaire pour accéder à cette église désaffectée, suspendue au milieu d'une paroi verticale. Quelques encoches pour poser les pieds, quelques prises pour les mains sur la roche qui s'effrite en millier de grains blancs.
Ce petit sanctuaire en partie excavé, en partie construit, présente quelques peintures anciennes. Il fallait les mériter. Et la descente ! brrrrr…Heureusement, St Georges était avec nous. Nous nous sommes ralliées à lui. Sa bière est si bonne !

Le clou de la journée est incontestablement Abreha et Asbeha ou Debra Negast (monastère des rois). Semi monolithique, le bâtiment est taillé dans le grès rouge. Dès le seuil, on reste muet d'admiration devant les peintures qui couvrent les murs et les plafonds. L'intérieur du grand portail, même, présente un portrait sur pied des deux frères Abreha et Asbeha.

Avant d'arriver à Axoum, un détour s'impose pour visiter le temple de Yeha (ruines d'époque pré-axoumite, 5 siècles avant JC). La plus ancienne construction sur le sol éthiopien, aurait été édifiée par des Sabéens venus du Yémen. Le musée recèle des pierres gravées en sabéen, grec et guèze. On y trouve des frises d'ibex. On y parle aussi de Gudit, reine juive qui aurait persécuté les Chrétiens.

Ancienne capitale du pays et royaume de la légendaire reine de Saba (Makeda comme on la nomme ici) et du roi Salomon, Axoum est le berceau du Christianisme en Ethiopie. Axoum et ses secrets. Car légendes et Histoire se mêlent en ce lieu et les travaux archéologiques entrepris depuis peu commencent à dévoiler les confidences de la terre.
Les monolithes du IIe siècle av JC, sont bien visibles. Certains dressés, d'autres couchés. L'un d'eux, gravé sur ses quatre faces, gît, brisé en cinq morceaux. Il n'a jamais été érigé. Un autre attend son érection imminente *. Emporté en Italie par Mussolini en 1937, il vient d'être rendu à l'Ethiopie. Du haut de sa trentaine de mètre, la stèle d'Ezana (roi axoumite chrétien du IVe siècle) jette un regard penché sur d'autres vestiges.
Croix , couronnes précieuses, les trésors de l'ancienne Ste-Marie de Sion s'exposent. Pour admirer le manuscrit aux belles enluminures, il faudra entrer dans le nouveau sanctuaire que fit construire le Négus Halié Sélassié. En revanche personne ne peut pénétrer, dans la petite chapelle, celle qui conserverait l'Arche d'Alliance et ses tables de la Loi. Seul un gardien à vie la surveille, un prête qui vit là en reclus.

Une longue marche nous mène aux tombeaux de Meskal et de Kaleb, rois axoumites du VI e siècle. Après la chaleur torride, il fait bon s'enfoncer dans le sol, trouver la fraîcheur des chambres funéraires. Les caveaux ont été pillés, il ne subsiste que quelques inscriptions, des croix gravées sur la pierre et …. des grappes de chauve-souris... mais pas d'époque.
En chemin nous nous attardons devant les bains de la reine de Saba. De jeunes enfants y barbotent, les mamans lavent le linge, les grands puisent l'eau. Plus loin à l'abri dans une cabane obscure, la pierre d'Ezana, récemment mise à jour par un laboureur, exhibe ses textes gravés en gèze, sabéen et grec. On ne peut s'empêcher de penser à la pierre de Rosette.

 

Gondar et les empereurs Fasilades

Deux jours de route sont nécessaires pour parvenir à la cité impériale de Gondar. Descentes vertigineuses, pont en construction, piste en réfection. La chaleur du fond des gorges alterne avec la fraîcheur des hauts plateaux et le froid des montagnes majestueuses du Simien qui s'élèvent jusqu'à 4620 m.
Tours, aiguilles, dentelles de roche… Un relief tourmenté digne de quelque titan. Les oiseaux ont élu domicile dans ce tableau, les ruches d'argile pendent dans les acacias, l'arbre à encens dresse ses branches rousses vers le ciel. Et toujours ces témoins rouillés de la violence des combats. Insolites terrains de jeu pour les enfants.

Capitale d'Abyssinie au XVIIe siècle, Gondar était la cité impériale des rois Fasilades. Dans un environnement verdoyant et bruissant d'oiseaux, on peut admirer les vestiges de ces magnifiques châteaux fortifiés qui dressent leurs pans de murs, leurs donjons, leurs créneaux en pierre.
Fasilades, Yohannès, Yassou, Dawit, Mentwab, Bakafa, ont construit au fur et à mesure de leur règne, palais, chancellerie, bibliothèque, écuries, cage aux lions et nombreuses dépendances.

A proximité on ne manque pas de visiter les bains de Fasilades. Un bâtiment à deux étages, un vaste bassin, de grands arbres, genévriers aux racines impressionnantes qui semblent vouloir avaler les murets qui entourent le réservoir. Autrefois lieu de détente, ce bassin est de nos jours rempli une fois l'an pour le traditionnel bain de la fête de Timkat qui commémore le baptême du Christ.

On ne quitte pas Gondar sans visiter l'église Debré Birhan Selassié (église de la trinité). Magnifique iconographie. Le plafond entièrement peint de visages de chérubins aux yeux écarquillés, qui n'ont de cesse de vous suivre du regard. Des murs couverts de scènes de la vie du Christ et de Marie. Au-dessus de la porte, on découvre avec étonnement, Mahomet enchaîné sur son dromadaire et emmené par le diable.

 

Bahar Dar et les sources du Nil Bleu

C'est en voiture, sur l'asphalte enfin, que nous rejoindrons Bahar Dar, petit ville au bord du lac Tana. Le plus grand lac d'Ethiopie avec ses monastères accessibles par bateau, ses hippopotames, ses pêcheurs qui glissent en silence sur de légères barques de papyrus, ses colonies de pélicans qui, le soir, font l'attraction des touristes installés sur la rive comme dans un amphithéâtre. Il y a aussi, hélas, le schistosome, parasite qui infeste le lac et en interdit la baignade sous peine de bilharziose. Et surtout c'est de ce lac qu'est issu le Nil Bleu. Abbay comme on le nomme ici va parcourir 1500 km avant de rejoindre le Nil Blanc et former le mythique Nil. Nous n'irons pas si loin pour admirer ses chutes. A 30 km de là, un chemin y conduit. Passé le pont des Portugais qui enjambe une gorge étroite, le sentier débouche sur un spectacle étourdissant : le fleuve serpente luisant sous le soleil couchant et soudain précipite ses eaux du haut de ses 400 m. Tis Issat (l'eau qui fume), cataracte assourdissante si bien que le petit joueur de flûte s'est posté à l'écart pour nous jouer sa mélodie.
Si la pêche a été bonne, ce soir nous mangerons des tilapias et demain nous irons sur le lac jusqu'à la péninsule de Zhegué. L'église de Uhra Kidane Mehret nous y attend. C'est un bel édifice circulaire au toit de chaume. Nous ne pénètrerons pas en son centre, mais la galerie couverte qui court tout autour du Saint des Saints est une merveille picturale. L'iconographie mêle scènes bibliques et historiques. Comme partout on y retrouve Ghiorghis, patron de l'Ethiopie, qui n'est autre que Saint-Georges terrassant le dragon du haut de son cheval blanc.

 

Retour à Addis-Abeba

Deux jours pour rejoindre la capitale. Impressionnante descente dans les gorges du Nil, spectaculaire remontée sur le versant opposé. Et une toute dernière visite au monastère Debré Libanos. Mais allons-on pouvoir pénétrer sur le site ? Notre "pureté" est-elle bien à la hauteur des règles strictes qui régissent le lieu ? Nous promettons et nous nous retrouvons parmi la foule des pélerins et des miséreux. Notre chauffeur nous guide jusqu'à la grotte où vécu Saint Takla Haymanot. La légende dit que ce saint homme pria, debout sans manger, ni boire, ni dormir pendant des années. A la fin, son fémur se détacha. Il continua de prier sur une seule jambe.
Un cordon de fidèles monte et descend le long de l'escalier glissant. Chacun vient faire provision d'eau sacrée qui suinte de la voûte et s'en revient trempé de la tête au pied. Le prête ne s'est pas privé de nous asperger. Et c'est purifiées que nous sommes rentrées à Addis

Il est difficile en quelques lignes de retracer tous les temps forts de cette boucle de douze jours, tant l'Histoire de cette région est grande. L'Abyssinie n'a pas fini de nous révéler ses richesses historiques, religieuses et culturelles.



* Dernière nouvelle : Depuis le mois d'août 2008, l'obélisque rendu est à nouveau dressé sur son emplacement d'origine. Cette opération longue et délicate a été menée à bien grâce à la coopération technique étroite entre Italiens et Ethiopiens, et le soutien de l'UNESCO. L'inauguration a eu lieu le 4 septembre 2008.

© Mireille Jeanjean le 24 décembre 2008 pour le Soleil de Québec

 

 


Nations, nationalités, peuples du sud/ La basse vallée de l'Omo

 

L'Ethiopie est une mosaïque ethnique. La neuvième région (Nations, nationalités, peuples du sud) regroupe une extraordinaire diversité humaine. Découverte à la fin du XIXe siècle, elle est restée loin de la civilisation et a conservé ses traditions ancestrales. Pour combien de temps encore ?

 

Arba Minch, porte de la Basse Vallée de l'Omo.

C'est loin, très loin d'Addis-Abeba, on peut accéder directement à Arba Minch par avion, gagner un jour et perdre le plaisir d'admirer quelques-uns des lacs qui s'échelonnent le long du grand rift africain. Bishoftu, lac de cratère en pleine ville, Langano et ses eaux cuivrées, seul lac de tout le pays dans lequel on peut se baigner, Ziway et Awasa et leur multitude d'oiseaux. On ne compte plus les marabouts, les ibis sacrés, les ombrettes qui viennent auprès des barques de pêche arracher leur pitance. Le jacana semble marcher sur l'eau, l'aigrette ardoisée fait son numéro de pêche, le jabiru prend la pause sur une patte, son bec tricolore orienté soleil. Quant au martin-pêcheur, en vol sur place au-dessus de l'eau, il attend le moment propice. Et hop ! Il est déjà ressorti du bain.

 

Complet dépaysement.

Passé Arba Minch, on est projeté dans un autre monde, une autre époque. Difficile d'imaginer. Ici plus de routes. Pas de structures touristiques. Nourriture, eau et carburant embarqués. Camping sommaire, hautement surveillé par des gardiens armés. La nuit, les hyènes rigolent. Dès l'aube, calaos et singes colobes entament leur raffut.
Des pistes plus ou moins praticables nous emmènent à travers savanes et forêts, par-delà les collines et les plaines de terres rouges, à la rencontre des Arboré, Tsemaï, Banna, Dassanech, Mursi, Hamer, Konso. Une infime partie des nombreuses ethnies que compte cette région.

Ces peuples n'entretiennent que peu de relations entre eux et les querelles de voisinages sont fréquentes. Nous n'avons pu rencontrer les Karo - passés maîtres dans l'art de la peinture corporelle, dit-on - qui étaient en guerre contre une tribu voisine.
Les conflits, qui se réglaient autrefois à la lance, se règlent maintenant à la kalachnikov.

Pasteurs semi-nomades, pour la plupart, ils sont soumis aux variations des saisons. A la saison des pluies, ils cultivent un peu de millet et de sorgho. A la saison sèche, les hommes suivent les troupeaux vers des lieux plus propices. Ils se nourrissent de lait, parfois d'animaux sauvages qui abondent dans les forêts. Des ruches en bois fixées dans les arbres leur fournissent le miel.
Une structure ronde en bois recouverte de chaume, voilà leurs huttes.

S'ils nous paraissent démunis de l'essentiel, ils semblent très attachés à l'esthétique : perles et cauris ornent fronts, cous, oreilles..., d'imposants colliers de métal s'empilent autour du cou, des bracelets de fer blanc enserrent bras, poignets, chevilles.

Les hommes portent des tissus colorés dont ils se drapent le corps ou s'entourent le bassin à la façon d'un pagne très court. Mais il n'est pas rare de voir des T-shirts venus d'autres continents. Placards publicitaires dont ils aiment se parer.

Les femmes, souvent torse nu, portent des jupes, en peau de chèvre ou de vache, serties de cauris, de perles métalliques, de broderies. Des accessoires issus de notre société de consommation viennent se mêler à ces bijoux ancestraux. Morceaux de bracelets de montres sur le front des filles, épingles de nourrices en pendentifs, anneaux de rideaux de douche aux oreilles des hommes, capsules de bouteille…

Les scarifications "ornent" la peau aussi bien des hommes que des femmes. Souvent, des cailloux glissés sous la peau donnent du relief à cet ornement indélébile. Signes de bravoure pour les uns, croyances mystiques ou superstition pour les autres.

Si ces modes de vie nous surprennent, les nôtres les étonnent aussi. Ce jour-là une petite faim nous assaille en pleine brousse. On installe le réchaud quand un groupe d'hommes et deux fillettes, surgis de nulle part, nous abordent. Difficile de communiquer. Le chauffeur éthiopien ne comprend pas leur dialecte. Nous offrons des mangues aux enfants et des sourires à la ronde sans quitter des yeux leurs armes à feu. Avant de manger, on se lave les mains. Sans eau, un gel fait l'affaire et intéresse nos visiteurs. J'en mets une goutte dans la main du chef. Non, pas dans la bouche ! Non, pas sur le visage ! Avec force grimaces je "dis" que ça sent mauvais, que ce n'est pas bon et me frotte les mains. Il comprend, imite mes gestes, me remercie et s'éloigne avec ses compagnons, non sans avoir goûté notre plat de pâtes lyophilisées.

 

Les Mursi

C'est dans le parc Mago que nous avons croisé les Mursi. La piste se faufile au milieu d'une savane arborée d'acacias et de sycomores. Il fait très chaud et sec et nous ne pouvons ouvrir les vitres de la voiture sans laisser pénétrer des nuées d'énormes mouches grises et gourmandes. Les fameuses mouches tsé-tsé ! La maladie du sommeil est éradiquée, dit-on, dans le sud de l'Ethiopie. De cette végétation quasi impénétrable, surgit un dik-dik, bondit un koudou, détale une famille de phacochères. Des myriades de papillons blancs, jaunes ou bleus viennent boire dans les flaques de la dernière pluie.
Au village mursi nous étions attendus. Le bruit du moteur a signalé notre venue et un comité d'accueil était fin prêt pour les séances de photos, rémunérées cela va sans dire.
Les hommes, nus sous des pans d'étoffe colorée, sont les derniers guerriers nus d'une époque révolue. Ils arborent lances ou bâtons quand ce n'est pas le fusil.
Une simple pièce de cuir habille les femmes. Des femmes qui portent le plateau d'argile inséré dans la lèvre inférieure.
Hommes et femmes rivalisent dans l'art de la décoration : végétaux, plumes, cornes, défenses d'animaux et autres objets trouvent leur place, autour du cou, sur la tête ou pendent aux oreilles.

 

Les Dassanetch

Pour rencontrer cette tribu, il faut rouler jusqu'au fleuve. De Turmi à Kelem (Omorate), la piste traverse une large plaine arborée : acacias, faux baobabs, buissons épineux, d'où émergent de gigantesques termitières. De vraies cathédrales d'ocre, doigts géants pointés vers le ciel.
Les animaux sont nombreux. Ils s'écartent tranquillement, se dissimulent dans les fourrés d'où ils nous observent, à l'abri des hautes herbes comme les francolins, les outardes et cette admirable pintade vulturine au plumage mêlé de bleu cobalt, de noir et de blanc. Les babouins, quant à eux, sautent sur le capot de l'auto, tentent une entrée en force par les vitres entrouvertes. Les voyageurs blancs transportent toujours de si bonnes choses !
A Omorate, c'est dans un simple tronc d'arbre évidé que nous traversons le ruban ocre de l'Omo. Le batelier, armé de sa longue perche, lutte habilement contre le courant. La rivière roule ici, à quelques encablures de sa rencontre avec le lac Turkana, des eaux assez rapides. Des gamins nous accompagnent à la nage dans l'eau boueuse réputée pour ses crocodiles ! Sur l'autre rive, nous attendent les Dassanetch. Les vieillards regroupés à l'entrée du village, palabrent. Après avoir salué le chef et payé notre tribut, nous pouvons visiter ce village de pasteurs nomades. Des huttes rudimentaires, des greniers sur pilotis, des enclos d'épineux. Un vent violent, chaud et sec, balaie l'étendue nue, à perte de vue. La poussière vole, s'infiltre partout.

 

Les Hamer

Durant trois jours, nous avons côtoyé cette tribu de grands éleveurs de zébus. Certainement les meilleurs souvenirs de ce voyage.
Les 42 000 âmes environ vivent sur un vaste territoire. Les femmes se distinguent par leurs cheveux roulés en fines anglaises et enduits d'un mélange d'ocre et de beurre. D'imposants colliers de fer blanc entourent le cou des épouses. Celui de la première épouse, fait de cuir et de fer, se superpose aux autres.
Les hommes aussi se parent avec un soin particulier : on ne compte plus les colliers de perles, les bracelets, les anneaux de chevilles, les boucles d'oreilles, les bagues. A cela s'ajoutent des coiffures sophistiquées de cheveux savamment tressés, des jambes et bustes peints à l'image de collants ou de gilets. Tous, quel qu'il soit, ne se séparent jamais de leur appui-tête en bois qui leur sert, à l'occasion, de petit siège.
Les hommes qui ont accompli un acte de bravoure portent des coiffures très élaborées : calotte rigide en argile colorée et rehaussée d'une plume d'autruche ou d'un toupet de poil. C'est du solide semble-t-il me dire, cet homme en tapant sur sa coiffe. Il aurait bien voulu ma chemise, je lui ai donné une lime à ongle. La joie dans ses yeux fut pour moi un cadeau bien plus beau.

Aujourd'hui, à Dimeka, les gens arrivent de toute part. Ils viennent vendre et acheter. Certains ont parcouru, plusieurs dizaines de kilomètres à pied avant d'arriver. Un grand marché où l'on trouve de tout : poteries, ocres, bois, fruits, céréales, beurre, bijoux... Un peu avant midi, le marché bat son plein. La place restera animée jusqu'au soir. Quant à nous, nous serons à quelques kilomètres de là, à la cérémonie de l'oukouli.

 

L'oukouli, passage à l'âge adulte

Cette cérémonie est un moment important de la tribu des Hamer. Elle consiste à célébrer le passage à l'âge adulte des garçons. Chance extraordinaire, un garçon d'un village proche de Dimeka, doit se soumettre, en fin d'après-midi, à ce rite ancestral bien particulier.
Notre obole versée, on nous conduit dans une boucle de l'oued. Un grand troupeau de bœufs est rassemblé. Des femmes soufflent dans des cornes, chantent, crient, sautent. Des anneaux de grelots fixés sous leurs genoux rythment la danse. Brodés et incrustés de perles, les pans de leurs jupes en peau de vache se balancent en cadence, les colliers de fer et de cauris, les innombrables bracelets reflètent les éclats du soleil couchant. Leurs peaux et leurs cheveux enduits de beurre et d'ocre ne font qu'ajouter une touche douce à ce tableau. Pourtant certaines brandissent des kalachnikovs, sans violence ni animosité.
Sous l'arbre centenaire, les hommes s'affairent aux dernières touches de peinture. Du blanc, de l'ocre passés grossièrement au doigt puis finement pointillés à l'aide d'une baguette. Les visages se transforment, les bras et les jambes deviennent des tableaux. Peintures d'un jour, décors éphémères, qu'ils changeront demain, comme nous changeons de vêtements.
Les plus vieux, habillés avec soin, attendent assis sur leur repose-tête.
Personne ne semble faire attention à ces deux femmes blanches venues en curieuses, assister à la fête. Même les bébés, sur le dos de leur mère, ne s'inquiètent pas de cette extravagance.

Au milieu de ce défilé haut en couleur et en originalité se distingue un jeune homme, vêtu d'une simple peau, le crâne à demi rasé, le reste des cheveux ébouriffés. C'est lui le héros de la journée. Bientôt il va être initié par les hommes du clan, à l'abri des regards.

Pendant ce temps, les femmes provoquent les hommes. Le but est de se faire flageller afin d'encourager le jeune à réussir les épreuves, lui prouver leur attachement et leur affection, et pour montrer leur capacité à endurer la douleur. L'homme choisi s'empare d'une fine badine. Un sifflement dans l'air et aussitôt le bruit sec de la tige flexible qui s'abat sur le dos de la femme. Pas un sourcillement, pas une grimace, pas un soupir. La peau éclate, le sang perle. Et l'on recommence.

Soudain, le jeune homme réapparaît, entièrement nu. Il se dirige vers les bêtes : une quinzaine de bœufs maintenus flanc contre flanc. Notre héros s'élance, saute sur l'échine du premier animal, poursuit sa course de dos en dos, jusqu'à la dernière bête et descend. Ce n'est pas fini, il doit effectuer quatre aller-retour pour réussir l'épreuve. Il n'a pas droit à l'erreur sinon il sera fouetté par les femmes de sa famille et deviendra la risée du clan tout au long de sa vie.
Ce jour-là ce fut un sans faute. Devenu homme, le vainqueur pourra choisir celle qui deviendra sa femme.

 

Autres ethnies

Durant notre trajet, nous croisons de jeunes Arborés, tout en pointillés de peinture blanche et ocre, la plume sur la tête, le bâton à la main. Les filles portent d'innombrables colliers de perles. Un pagne couvre leurs jambes, un tissu fin et soyeux est posé sur leur tête ou leurs épaules.

Nous saluons un couple de Banna en route pour le marché. Leur bébé dort dans le dos de la maman qui porte en collier une longue bande de sept rangs de cauris et une calebasse en guise de chapeau. La tenue du papa rappelle celles des Hamer.

Les femmes Tsemaï, quant à elles, cachent leur poitrine sous un triangle en peau, décolleté bateau bordé de cauris. La jupe des femmes mariées se termine en pointe rigide qui traîne dans la poussière. Est-ce une façon pour le mari d'épier les allées et venues de son épouse ?

 

Les Konso

Avant de refermer la boucle, un arrêt s'impose dans cette étonnante région de Konso. Ici, pas de nomadisme. Les Konso sont des agriculteurs sédentaires. Ils sont passés maîtres dans l'art de la culture en terrasses et de la maîtrise de l'eau. Ils cultivent le coton, le sorgho, le millet. Ce sont d'habiles tisserands comme le prouvent les jupes des femmes : coton écru, épais, bordées de bandes de couleurs ou rayées de teintes vives. Un rabat à la taille forme un volant.

Les Konso ont une vie sociale et spirituelle bien structurée.
Afin de se protéger des coulées de boue ou des ennemis, ils ont construit des villages fortifiés. Rien à voir avec nos forteresses Moyenâgeuses.
Mackedie, entouré d'un mur de basalte savamment agencé et surmonté de branchages croisés, illustre bien ce type de construction. A l'intérieur, chaque famille dispose d'une concession entourée elle aussi de murs et de branchages. Une grande case pour l'habitation, avec un toit conique en chaume surmonté d'une poterie et souvent d'un attribut signifiant la religion. D'autres huttes servent de greniers. Les poulaillers sont dressés sur pilotis. Une partie de la cour est réservée au bétail.

Le long de la clôture, est cultivé le moringa stenopetala. Les feuilles de cet arbre, le fruit aussi parfois, entrent dans la préparation de la dama, base de l'alimentation des konso.
Sur les places, sont érigés les mâts des générations, en genévriers sacrés, ainsi que les dega hela (colonnes de basalte) érigées à chaque victoire.
La mort de gens riches et importants est aussi soulignée par des wakas (totems de bois).

Des cases communautaires, rappelant étrangement les toguna du pays Dogon au Mali, accueillent, dès l'adolescence, les jeunes gens pour la nuit.

Le pays Konso a son roi ou son chef. Un titre, point de pouvoir. Un rôle de liaison entre le peuple et les instances gouvernementales éthiopiennes.
Il vit à l'écart sur sa propriété à l'abri de "remparts". Son "campement" est comparable à un village. Le vieux chef est mort, il y a quatre ans environ, et c'est son fils qui lui a succédé. Il était absent ce jour-là. Un membre de sa famille nous a accueillies et fait visiter les lieux. Avec lui nous sommes allées jusqu'au cimetière familial. Waka, totems funéraires, monuments éphémères, statues livrées aux intempéries et aux termites. Une tombe récente, au bout d'un sentier étroit dans l'enchevêtrement de la végétation du "bois sacré".

 

Chencha et les Dorzé

Retour à Arba Minch et à ses lacs jumeaux : Abaya en rose et Chamo en bleu. Les crocodiles y pullulent, les hippopotames s'y prélassent. Demain avant de reprendre la route vers Addis-abeba, nous ferons un détour jusqu'à Chencha, perché à 3000 m d'altitude. C'est là que vivent les Dorzé. Les hommes tissent en plein air, sur des métiers d'un autre âge, les femmes filent, d'autres sont potières. Chaque famille possède sa hutte et un peu de terrain pour la culture de l'ensète. Cet arbuste aux airs de bananier est l'arbre à tout faire : cordes, nattes, nourriture pour le bétail et préparation du kocho. Les feuilles râpées donne une pâte qui fermente plusieurs mois sous terre. La forte odeur de fromage disparaît après cuisson en laissant un goût aigrelet. Il fallait y goûter.

Les huttes ne ressemblent à aucune autre. Leur forme ogivale rappelle la tête des éléphants. L'intérieur est vaste, sombre, la hauteur sous plafond impressionnante. Des sortes de mezzanines sont aménagées tout autour. Un coin, séparé par une cloison, est réservé au bétail. La chaleur animale permet de conserver une température relativement douce, même la nuit à cette altitude.

 

On entre dans cette région avec curiosité, on en ressort perplexe.
Peu à peu, avec la demande touristique, les pistes s'améliorent, des structures d'accueil se développent : campings, chambres, restaurants très rudimentaires pour quelques touristes peu exigeants. Le contact avec la "civilisation" va-t-il rendre ces gens plus heureux ? Ou accélérer la fin d'une diversité culturelle ?

© Mireille Jeanjean le 10 décembre 2008 pour le Soleil de Québec

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Modifié le 25/10/18

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