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ETHIOPIE / Expédition en Danakil : l'Erta Alé et le Dallol pour Le
Soleil de Québec
http://www.cyberpresse.ca/article/20071224/CPVOYAGES/712151320/1016/CPVOYAGES
L'Ethiopie, dans la corne de l'Afrique, en plus d'être le berceau
de l'humanité, est un pays de contrastes qui s'étage
de 125 m au-dessous du niveau de la mer jusqu'à 4600 m d'altitude
au Mont Dashen. C'est dans la région des Afar appelés
aussi Danakil, dans ce désert essentiellement au-dessous du
niveau de la mer que nous nous sommes aventurés pour approcher
et admirer l'activité volcanique
et hydrothermale du Dallol et de l'Erta Alé.
Awash au Sud, Erythrée au Nord, Djibouti à l'Est , délimitent
un triangle : le triangle Afar ou Danakil, dans le Nord-est de l'Ethiopie.
Voyager dans cette région tient plus de l'expédition que
d'une balade du dimanche. C'est une des contrées les plus chaudes
du Monde, une dépression qui atteint 125 mètres au-dessous
du niveau de la mer, un désert où quelques plantes rachitiques
se disputent une place au soleil dans cet espace livré aux tourbillons
de poussière, aux étendues de basalte, aux jeux de lumière
sur les cristaux de sel ou les blocs d'obsidienne (cœur de pierre
de lave, noir brillant, luisant, tranchant comme une lame). C'est dans
ce coin-là que trois rifts se sont donné rendez-vous :
Mer Rouge, Golfe d'Aden et le Rift africain. Région hautement
sismique, éruptive; pourtant des hommes vivent là dans
des huttes qui épousent la couleur de la terre. Un peuple rude,
libre et fier, des éleveurs semi-nomades : les Afar.
Cette région abrite aussi des fossiles d'hominidés dont
le plus célèbre, l'australopithèque afarensis "Lucy",
a été découvert à Hadar en 1974.
Si je vous emmène là aujourd'hui, c'est pour visiter le
lac de lave du volcan Erta Alé, l'activité géothermale
du Dallol et les sauniers qui exploitent le sel du lac Karoum.
L'approche : un jour de route, un jour de piste
Nous
sommes partis, douze voyageurs, trois véhicules
4X4, deux chauffeurs éthiopiens connaissant bien le parcours.
Des réserves
d'eau, de nourriture, de carburant pour plusieurs jours, sacs de couchage
et minces matelas de camping. Les autorisations dûment signées,
il ne manquait que les deux gardes afar armés chacun d'une kalachnikov
et le guide, un afar également. Trois accompagnateurs obligatoires
que nous embarquerons à Semara, capitale de la région.
La première partie du voyage traverse un paysage vert et vallonné.
La route longe le chemin de fer qui relie Addis-Abeba à Djibouti
depuis 1917. Une halte à l'ancien buffet de la gare d'Aouache,
transformé en hôtel restaurant, permet de nous rafraîchir
et déguster quelques spécialités éthiopiennes
: tibbs, injera mais aussi des pâtes à la mode italienne,
car l'Italie a occupé le pays de 1936 à 1941.
Après Awash, nous bifurquons vers le Nord. La végétation
se fait rare, la chaleur augmente. La route sera longue jusqu'à Semara.
Demain fini l'asphalte, fini l'infernal va-et-vient des camions.
Une piste nous entraîne dans le désert. Paysage aride, arbustes épars
poussiéreux, et à perte de vue des cailloux, des gros,
des petits comme ceux qui sautent sous les roues de la voiture. Au loin
se profilent des sommets, volcans au repos. La piste avale les montées,
les dépressions, longent des villages : quatre ou cinq huttes
rondes et basses, structures en branchages recouvertes de nattes de palmes
tressées. A l'écart, sur une butte, se dressent les weidal,
des tombes circulaires hautes d'un à deux mètres construites
en pierre. Pas âme qui vive, aucune trace d'eau, les habitants
ont dû partir avec leurs chèvres à la recherche de
pâturages. Lait de chèvre ou de chamelle et galette de céréale
sont la base de l'alimentation des Afar.
L'eau, nous la trouverons en fin de journée. Une étendue
turquoise, émeraude selon l'angle : le lac Afdera, bordé d'écume
de sel. Les cônes volcaniques s'y reflètent, ainsi que des
palmiers. En son centre, l'île la plus basse du monde, -100 m au-dessous
du niveau de la mer. Tout autour, des salines. Les étendues de
sel scintillent au soleil couchant. Le soir n'interrompt pas les allées
et venues des ânes chargés de jerricans. Une source d'eau
douce et chaude vient se mêler à l'eau salée du lac.
Le vent du Sud se lève, violent, chaud et sec. Difficile de fermer
l'œil cette nuit-là dans notre abri sommaire.
Erta Alé
Chaque jour
la chaleur se fait plus intense, le degré hygrométrique
est très faible pour ne pas dire nul. On ne compte plus les litres
d'eau engloutis et pourtant ni on ne transpire, ni on n'urine ou si peu
!
Le plus chaud nous le relevons dans l'oued où nous nous arrêtons
pour réserver deux dromadaires. Il est13 h, le thermomètre
affiche 58 °C au soleil. Des garçonnets sont là pieds
nus dans le sable surchauffé, les fillettes se tiennent à l'écart,
drapées dans de jolis voiles à dominante rouge. Les hommes
en longs pagnes vivement colorés négocient, avec nos accompagnateurs,
le prix des chameaux. Des mirages au loin font danser d'hypothétiques
arbres. L'air chaud trouble la vision et pourtant ce sont bien des autruches
qui détalent à toutes jambes.
Nous ne les suivrons pas, notre objectif pour l'heure est l'ascension
du volcan Erta Alé, la montagne qui fume en dialecte afar.
16h15, quatre litres d'eau (chaude) par personne, nous "décollons" pour
gravir les 700 mètres de dénivelé qui nous séparent
de la caldeira. La pente est douce, mais la chaleur importante rend éprouvante
cette montée. C'est à la lampe frontale que nous parviendrons
au sommet 2h30 plus tard pour les plus vaillants, 3h pour les derniers.
Quant aux dromadaires, il faudra attendre 23 h bien sonnés pour
les voir arriver avec provisions et matériel de camping.
Malgré la fatigue, comment résister à l'attrait
de cette lueur rouge qui flotte à l'intérieur de la caldeira
? Les premiers arrivés sont déjà là-bas,
nous les rejoignons en empruntant le sentier étroit et glissant
qui descend le long de la paroi verticale. Quelques mètres sur
les anciennes coulées de lave, croûte fragile qui résonne
sous nos pas et nous voilà au bord du puits Sud, un "pit
crater" de 140 mètres de diamètre. Là, nous
attendait un spectacle émouvant, beau à couper le souffle.
Cent mètres au-dessous de nous, au fond d'un gouffre noir, des
lignes de feu rouge orangé zigzaguent, s'étirent, se croisent,
se joignent, se disjoignent. Parfois une bulle de magma éclate à la
surface et une fontaine de lave jaillit. De notre observatoire, au bord
du cratère, nous sentons le rayonnement plus intense de la chaleur.
Une rumeur rappelant le battement des vagues sur la grève accompagne
le mouvement de la lave. Puis tout semble se calmer et ça recommence.
Un kaléidoscope dont il est difficile de détacher les yeux.
On aurait pu passer la nuit à regarder battre le cœur de
la Terre, si le vent ne s'était levé, apportant les fumeroles
irritantes qui s'échappent du puits Nord, un autre "pit crater" dont
le lac de lave est solidifié depuis 3 ans.
De tous les côtés, on entend tousser. Il y avait foule autour
du lac de lave : des Italiens, des Français, des Britanniques.
Les guides, les gardes et les chameliers afar se sont abstenus. De vieilles
croyances leur font craindre la présence d'esprits malfaisants.
Ils dormaient déjà quand nous sommes sortis de la caldeira.
Tout ce petit monde a passé la nuit à la belle étoile,
entre les blocs de lave, dans la poussière, sous un ciel rempli
d'étoiles, dans un silence profond.
Dès les premières lueurs du jour, je me suis précipitée à nouveau
dans l'enclos du volcan. Le lac de lave continuait à bouillir,
alors que le soleil pointait, découvrant un décor extraordinaire.
Une étendue grise couvre l'intérieur de la caldeira. Toutes
les variétés de lave sont réunies ici :lave cordée,
lave plissée, lave pahoehoe (fluide et lisse), lave à grattons.
Des hornitos se dressent, certains fument, d'autres cachent des fleurs
de soufre. Quel esprit est venu ici sculpter la matière d'autant
de formes ? N'est-ce pas la déesse Pelé ? J'ai aperçu
dans un creux des mèches de ses cheveux. De prime abord j'ai pris
ces fins filaments de lave pour de l'herbe sèche ! Mais ici point
de végétation, tout comme dans le Dallol.
Le Dallol
Le Dallol à
quelques kilomètres de là, est un volcan
qui a explosé en 1926. Il est le siège d'une intense activité hydrothermale.
Inutile de grimper pour y parvenir, il est au niveau du lac salé Karoum.
Cet ancien cratère est un patchwork de couleurs et de formes.
Le sel, l'eau, le soufre, la potasse, les oxydes de fer se mêlent,
forment des terrasses ocre, des concrétions jaune orangé,
des vasques remplies de liquides acides où les bleus et les verts étalent
une riche gamme de nuances. Et ça glougloute et ça siffle.
Des jets de vapeur s'échappent de minuscules cheminées,
de l'eau chaude bouillonne et déborde d'un dôme de billes
de sel d'un blanc éblouissant, de petits geysers jaillissent.
On ne sait plus où regarder, chaque parcelle de terrain attire
le regard. Toutes sortes de formations géologiques, construites
par les bactéries qui se développent dans les mares d'eaux
chaudes, habillent le sol. Ici on dirait des champignons, là des
plateaux semblables à des feuilles de nénuphars géants,
des serpentines, des socles aux allures de dalles de marbre, des dentelles
minérales…On s'imagine vite assister à la naissance
de la Terre.
Des pans de falaises sont visibles sur une partie de la zone et forment
un labyrinthe hérissé de cheminées de fées
et de sculptures de géants. Un long canyon au sol rouge brun (mélange
de boue mêlée à du sable), débouche sur le
lac. Cette région a été plusieurs fois envahie par
la mer et les différentes couches de sel alternent avec les sédiments.
Le lac salé
Le sel, ce n'est pas ce qui manque. Le lac Karoum, appelé aussi
Assalé, est une mine de sel exploitée dans des conditions
extrêmes. Quelle résistance faut-il pour travailler ainsi,
sous un soleil de plomb, les pieds nus dans l'eau salée. D'abord, à la
hache, on fend la croûte de sel à la surface du lac, ensuite
trois ou quatre hommes insèrent leurs bâtons dans la fente,
un jeu de levier permet de détacher et basculer un large bloc
de sel, d'autres sauniers taillent alors à la hachette des plaques
de 20 X 30 cm environ.Les plaques de sel sont empilées, liées
et chargées sur des dromadaires ou des ânes.
Quotidiennement, des caravanes partent emmener le sel vers les hauts
plateaux de l'Ouest. Long voyage à travers les oueds, les pistes
rocailleuses, les cols et les vallées afin d'atteindre Mekele,
principal marché à sept jours de marche lu lac..
Avec nos véhicules, nous ne mettrons que deux jours, deux dures
journées, pour atteindre la ville et deux autres jours pour rejoindre
Addis-Abeba. Mais rien ne pourra ternir les images gravées dans
nos têtes, l'impression d'avoir vécu quelque chose d'exceptionnel,
d'extraordinaire, d'inédit. Le sentiment d'avoir approché le
cœur de la Terre, d'avoir pénétré l'intimité de
notre planète et découvert quelques secrets magiques de
sa naissance et de sa vie.
© Mireille Jeanjean
pour le Soleil le 24 août 2007 |
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Ethiopie, la route historique (Reportage paru au Soleil
de Québec et sur Cyberpresse/voyage,
avec quelques coupes :-) )
La route historique, douze jours époustouflants,
3000 kilomètres environ dans un décor sans cesse renouvelé,
sur des pistes malaisées et poussiéreuses. L'asphalte,
quand on le retrouve est doux comme un tapis de laine.
Bien sûr il eut été possible de couper court en empruntant
les avions qui relient Addis-Abeba à Lalibela, Axoum, Bahar-Dar
ou Gondar, et s'immerger tout de suite dans l'Histoire ancienne de l'Ethiopie.
Mais comme il aurait été dommage de se priver de la beauté des
paysages, de la vie des peuples qui les habitent.
Un environnement hors
du commun
Boisés, ras, rocailleux, partout les sols sont cultivés.
Et quand la pente est trop forte, on bâtit des terrasses. Les pierres,
ce n'est pas ce qui manque ici et le courage non plus. Des escaliers
de géants s'enroulent autour de la montagne. Toute une gamme de
bruns, roux, verts émaille le paysage.
En mars, la moisson est
finie. Les meules, tantôt rondes, tantôt
pointues éclairent les champs d'un jaune lumineux. Près
des fermes, le battage va bon train : à la main ou à l'aide
des animaux.
Déjà les laboureurs s'activent, les champs doivent être
prêts pour l'ensemencement, avant le mois de juin, début
de la saison des pluies.
Des hommes, araire sur l'épaule, guidant
des ânes lourdement
chargés, des femmes, dos courbés sous le poids des cruches
d'eau ou des fagots de bois, des enfants de tous âges sur le chemin
de l'école quand ce n'est pas bâton en main surveillant
un troupeau de zébus ou de chèvres. De l'aube au crépuscule
un cordon humain avance le long des chemins.
Sorti d'Addis, fini les baraques de tôle, fini aussi les nouveaux
buildings en béton et les anciennes maisons en pierre de l'époque
italienne. L'habitat traditionnel reprend ses droits : huttes rondes surmontées
d'un toit pointu en paille au travers duquel s'échappe, au petit
matin, la fumée du foyer intérieur. Sol de terre battue,
armature en branches d'eucalyptus, torchis pour colmater les interstices
et faire obstacle à l'air frais. Car même si on se trouve
tout près de l'équateur, le froid pince au-delà des
2500 m d'altitude.
Parlons-en de l'altitude. Entre Debré Birham et Kombolcha, la route
ne cesse de grimper et soudain dans le froid vif des 3200 mètres
d'altitude et la brume des sommets, se découpe une faille : la "fenêtre
afar". Elle s'ouvre sur un impressionnant précipice bordé de
minuscules fleurs blanches. Tout au fond brillent les méandres de
la rivière Awash.
Des enfants se précipitent pour nous vendre d'amusants chapeaux
de laine qui portent encore la forte odeur de suint.
Il faudra deux jours de 4X4 pour atteindre Lalibela à 700 km d'Addis.
On prend son temps, on s'arrête admirer les babouins gélada
qui caracolent dans les escarpements des falaises, crinière au vent
et poitrail arborant leur fameuse tache rouge, comme un cœur à ciel
ouvert.
Le passage dans une agglomération est l'occasion de déguster
un buna (café en amharique) ou un jus de fruit "à étages" (avocado,
manguo, papaya) sans eau, juste la pulpe et quelques gouttes de lomi
(citron). Ou encore l'injera (plat national) et même des spaghettis
sauce bolognaise et berbéré (piment)
Lalibela, ses églises monolithiques
La piste vers Lalibela grimpe sur les hauts plateaux. 1400 mètres
de dénivelée et 20 km pour atteindre une étendue désolée,
un espace rocailleux livré au vent. A mi-pente, ruisselle une eau
sacrée. Tous les conducteurs s'arrêtent pour s'asperger d'eau
bénite, déposer leur obole dans le petit autel et s'assurer
ainsi d'un bon voyage.
La religion est très présente en Ethiopie. Du haut de ses
2600 mètres d'altitude, l'ancienne Roha en est une des preuves.
Rebaptisée Lalibela ("Les abeilles reconnaissent sa souveraineté"),
du nom du roi éthiopien qui fit tailler dans le tuf, à la
fin du XIIe siècle, onze églises.
Le site est en quelque sorte la reconstitution de Jérusalem. Le
Jourdain, la colline des 7 oliviers, le Sinaï, le Golgotha… Tout
y est. Les fresques sur les murs illustrent l'ancien et le nouveau testament.
Tout cela conservé depuis plus de 800 ans. Outre l'iconographie,
il n'est pas rare de trouver des gravures en creux et en relief, croix, étoile
de Salomon…
Ville sainte de l'Ethiopie, Lalibela accueille des milliers de pèlerins
lors des grandes fêtes chrétiennes orthodoxes.
Nous avons choisi Mas, un guide francophone, pour nous conduire dans
ce labyrinthe qu'est Lalibela. Mas a étudié auprès des
prêtes et nous apporte toutes les précisons propres à chacun
des édifices.
On ne compte pas les tranchées, les tunnels plus ou moins longs,
plus ou moins étroits et bas, les portes dérobées,
tout un système pour aller d'un sanctuaire à l'autre au-dessous
du niveau du sol. Et tout ça sans se mouiller les pieds, même
en saison de pluie, grâce aux plans inclinés et systèmes
de canalisation. Les pieds parlons-en ! Onze fois ni plus ni moins nous
avons dû poser nos souliers avant de pénétrer dans
les lieux saints.
Des églises extraites de la terre, il faut voir ça ! Le monument
a d'abord été excavé, un bloc brut, ensuite les façades
ont été travaillées et font apparaître pilastres,
corniches, piliers, fenêtres, portes. Certaines fenêtres sont
aveugles. Celles qui ont été percées ont permis d'évider
le bloc et de pénétrer dans le roc afin de modeler les volumes
intérieurs: coupoles, voûtes, arcs, piliers, nefs, chapiteaux,
tout ce qu'on peut voir dans une basilique. Le sol est généralement
incliné pour permettre l'évacuation de l'eau. De petits canaux
courent entre les différents blocs, canalisent l'eau vers des citernes
ou directement dans le grand canal qui sépare les églises
du nord des églises du sud et qui n'est autre que le Jourdain.
En plus de ces deux groupes de sanctuaires, il y a Biéta Ghiorghis
(la maison de Saint-Georges). C'est de loin la plus émouvante.
A l'écart des autres, il faut grimper sur le plateau pour voir ce
monolithe de 11 mètres de haut se dresser dans une excavation profonde
de 12 mètres. Quelle féerie quand les rayons du couchant
ravivent le grès rose de ses murs, ombrent les nuances de lichens
qui l'habitent depuis 8 siècles et dégagent avec netteté l'imbrication
en creux et en relief des croix qui ornent son sommet.
Taillé en forme d'une croix grecque le monument offre douze façades.
Dans la partie supérieure, les fenêtres ogivales, surmontées
d'une palme et d'une croix, s'ouvrent sur la cour fermée aux murs
percés de trous. Autrefois tombeaux, parfois abris pour les pèlerins,
ces niches sont occupées par des moines ermites. On entre dans l'église
par un escalier de sept marches. Comme à l'extérieur, l'intérieur
est en forme de croix. Au rez-de-chaussée, les fenêtres sont
aveugles (l'église étant considérée comme l'Arche
de Noé, il fallait éviter que le flot n'entre en son sein).
Les ouvertures sont ornées de "tête de singe". Détail
architectural venu d'Axoum qui laisse apparaître une poutre à chaque
angle.
Dans les églises, des tentures dissimulent les passages interdits
comme l'accès au Saint des Saints, protègent certaines fresques
de la lumière ou en interdisent la vue, comme à Biéta
Medhane Alem (maison du Sauveur du Monde). En effet, selon la légende,
le Christ est apparu appuyé contre le premier pilier de l'église.
Il y aurait laissé des traces, des inscriptions susceptibles de
disparaître pour toujours si un seul regard se pose sur elles.
Au sol des tapis, des nattes ou simplement de la paille recouvrent la
roche. Accrochées à différents endroits, de clinquantes horloges
indiquent des heures fantaisistes. Ici et là, pêle-mêle,
des bâtons de prière, des cistres et des tambours attendent
l'heure de l'office. Des parapluies espèrent une cérémonie
pour déployer leurs couleurs vives et leurs lamées . Et partout
les prêtres se prêtent à la pause photos avec dans les
mains croix et manuscrits anciens. En échange de quoi quelques birrs
(monnaie éthiopienne) amélioreront l'ordinaire.
Après cette journée culturelle bien remplie, nous nous retrouvons
autour d'un tedj. C'est une sorte d'hydromel, une boisson fermentée à base
de miel. A Lalibela, ville des abeilles, le tedj ne peut être que
délicieux.
Axoum entre Histoire et légendes
L'étape
suivante sera Axoum à des km à travers le Tigré, ses
montagnes tabulaires, ses pitons volcaniques, ses orgues de basalte. Des
km sans rencontrer âmes qui vivent, sauf quelques singes et de petits
calaos qui s'envolent à notre approche.
Cette région, frontalière avec l'Erythrée, garde les
traces des guerres successives et notamment du Derg (dictature militaire
conduite par Mengistu). Ici et là, abandonnés à la
rouille, des chars témoignent de ces années noires.
Nous ne pouvions traverser le Tigré sans visiter quelques unes de
ces églises rupestres, creusées dans les falaises. Des centaines
de sanctuaires, certains interdits aux femmes. Il y a aussi ceux qui se
visitent après de vertigineuses ascensions.
Petros et Poulos, n'a rien de bien vertigineux, une petite escalade cependant
nécessaire pour accéder à cette église désaffectée,
suspendue au milieu d'une paroi verticale. Quelques encoches pour poser
les pieds, quelques prises pour les mains sur la roche qui s'effrite
en millier de grains blancs.
Ce petit sanctuaire en partie excavé, en partie construit, présente
quelques peintures anciennes. Il fallait les mériter. Et la descente
! brrrrr…Heureusement, St Georges était avec nous. Nous nous
sommes ralliées à lui. Sa bière est si bonne !
Le clou de la journée est incontestablement Abreha et Asbeha ou
Debra Negast (monastère des rois). Semi monolithique, le bâtiment
est taillé dans le grès rouge. Dès le seuil, on reste
muet d'admiration devant les peintures qui couvrent les murs et les plafonds.
L'intérieur du grand portail, même, présente un portrait
sur pied des deux frères Abreha et Asbeha.
Avant d'arriver à Axoum,
un détour s'impose pour visiter le temple de Yeha (ruines d'époque
pré-axoumite, 5 siècles avant JC). La plus ancienne construction
sur le sol éthiopien, aurait été édifiée
par des Sabéens venus du Yémen. Le musée recèle
des pierres gravées en sabéen, grec et guèze. On y
trouve des frises d'ibex. On y parle aussi de Gudit, reine juive qui aurait
persécuté les Chrétiens.
Ancienne capitale du pays et royaume de la légendaire reine de Saba
(Makeda comme on la nomme ici) et du roi Salomon, Axoum est le berceau
du Christianisme en Ethiopie. Axoum et ses secrets. Car légendes
et Histoire se mêlent en ce lieu et les travaux archéologiques
entrepris depuis peu commencent à dévoiler les confidences
de la terre.
Les monolithes du IIe siècle av JC, sont bien visibles. Certains
dressés, d'autres couchés. L'un d'eux, gravé sur ses
quatre faces, gît, brisé en cinq morceaux. Il n'a jamais été érigé.
Un autre attend son érection imminente *. Emporté en Italie
par Mussolini en 1937, il vient d'être rendu à l'Ethiopie.
Du haut de sa trentaine de mètre, la stèle d'Ezana (roi axoumite
chrétien du IVe siècle) jette un regard penché sur
d'autres vestiges.
Croix , couronnes précieuses, les trésors de l'ancienne
Ste-Marie de Sion s'exposent. Pour admirer le manuscrit aux belles enluminures,
il
faudra entrer dans le nouveau sanctuaire que fit construire le Négus
Halié Sélassié. En revanche personne ne peut pénétrer,
dans la petite chapelle, celle qui conserverait l'Arche d'Alliance et
ses tables de la Loi. Seul un gardien à vie la surveille, un prête
qui vit là en reclus.
Une longue marche nous mène aux tombeaux de Meskal et de Kaleb,
rois axoumites du VI e siècle. Après la chaleur torride,
il fait bon s'enfoncer dans le sol, trouver la fraîcheur des chambres
funéraires. Les caveaux ont été pillés, il
ne subsiste que quelques inscriptions, des croix gravées sur la
pierre et …. des grappes de chauve-souris... mais pas d'époque.
En chemin nous nous attardons devant les bains de la reine de Saba. De
jeunes enfants y barbotent, les mamans lavent le linge, les grands puisent
l'eau. Plus loin à l'abri dans une cabane obscure, la pierre d'Ezana,
récemment mise à jour par un laboureur, exhibe ses textes
gravés en gèze, sabéen et grec. On ne peut s'empêcher
de penser à la pierre de Rosette.
Gondar et les empereurs Fasilades
Deux jours de route sont nécessaires pour parvenir à la cité impériale
de Gondar. Descentes vertigineuses, pont en construction, piste en réfection.
La chaleur du fond des gorges alterne avec la fraîcheur des hauts
plateaux et le froid des montagnes majestueuses du Simien qui s'élèvent
jusqu'à 4620 m.
Tours, aiguilles, dentelles de roche… Un relief tourmenté digne
de quelque titan. Les oiseaux ont élu domicile dans ce tableau,
les ruches d'argile pendent dans les acacias, l'arbre à encens dresse
ses branches rousses vers le ciel. Et toujours ces témoins rouillés
de la violence des combats. Insolites terrains de jeu pour les enfants.
Capitale d'Abyssinie au XVIIe siècle, Gondar était la cité impériale
des rois Fasilades. Dans un environnement verdoyant et bruissant d'oiseaux,
on peut admirer les vestiges de ces magnifiques châteaux fortifiés
qui dressent leurs pans de murs, leurs donjons, leurs créneaux
en pierre.
Fasilades, Yohannès, Yassou, Dawit, Mentwab, Bakafa, ont construit
au fur et à mesure de leur règne, palais, chancellerie, bibliothèque, écuries,
cage aux lions et nombreuses dépendances.
A proximité on ne manque pas de visiter les bains de Fasilades.
Un bâtiment à deux étages, un vaste bassin, de grands
arbres, genévriers aux racines impressionnantes qui semblent vouloir
avaler les murets qui entourent le réservoir. Autrefois lieu de
détente, ce bassin est de nos jours rempli une fois l'an pour le
traditionnel bain de la fête de Timkat qui commémore le baptême
du Christ.
On ne quitte pas Gondar sans visiter l'église Debré Birhan
Selassié (église de la trinité). Magnifique iconographie.
Le plafond entièrement peint de visages de chérubins aux
yeux écarquillés, qui n'ont de cesse de vous suivre du regard.
Des murs couverts de scènes de la vie du Christ et de Marie. Au-dessus
de la porte, on découvre avec étonnement, Mahomet enchaîné sur
son dromadaire et emmené par le diable.
Bahar Dar et les sources
du Nil Bleu
C'est en voiture, sur l'asphalte enfin, que nous rejoindrons Bahar Dar,
petit ville au bord du lac Tana. Le plus grand lac d'Ethiopie avec ses
monastères accessibles par bateau, ses hippopotames, ses pêcheurs
qui glissent en silence sur de légères barques de papyrus,
ses colonies de pélicans qui, le soir, font l'attraction des touristes
installés sur la rive comme dans un amphithéâtre.
Il y a aussi, hélas, le schistosome, parasite qui infeste le lac
et en interdit la baignade sous peine de bilharziose. Et surtout c'est
de
ce lac qu'est issu le Nil Bleu. Abbay comme on le nomme ici va parcourir
1500 km avant de rejoindre le Nil Blanc et former le mythique Nil. Nous
n'irons pas si loin pour admirer ses chutes. A 30 km de là, un
chemin y conduit. Passé le pont des Portugais qui enjambe une
gorge étroite,
le sentier débouche sur un spectacle étourdissant : le
fleuve serpente luisant sous le soleil couchant et soudain précipite
ses eaux du haut de ses 400 m. Tis Issat (l'eau qui fume), cataracte
assourdissante
si bien que le petit joueur de flûte s'est posté à l'écart
pour nous jouer sa mélodie.
Si la pêche a été bonne, ce soir nous mangerons des
tilapias et demain nous irons sur le lac jusqu'à la péninsule
de Zhegué. L'église de Uhra Kidane Mehret nous y attend.
C'est un bel édifice circulaire au toit de chaume. Nous ne pénètrerons
pas en son centre, mais la galerie couverte qui court tout autour du
Saint des Saints est une merveille picturale. L'iconographie mêle
scènes
bibliques et historiques. Comme partout on y retrouve Ghiorghis, patron
de l'Ethiopie, qui n'est autre que Saint-Georges terrassant le dragon
du haut de son cheval blanc.
Retour à Addis-Abeba
Deux jours pour rejoindre la capitale. Impressionnante descente dans
les gorges du Nil, spectaculaire remontée sur le versant opposé.
Et une toute dernière visite au monastère Debré Libanos.
Mais allons-on pouvoir pénétrer sur le site ? Notre "pureté" est-elle
bien à la hauteur des règles strictes qui régissent
le lieu ? Nous promettons et nous nous retrouvons parmi la foule des pélerins
et des miséreux. Notre chauffeur nous guide jusqu'à la grotte
où vécu Saint Takla Haymanot. La légende dit que ce
saint homme pria, debout sans manger, ni boire, ni dormir pendant des années.
A la fin, son fémur se détacha. Il continua de prier sur
une seule jambe.
Un cordon de fidèles monte et descend le long de l'escalier glissant.
Chacun vient faire provision d'eau sacrée qui suinte de la voûte
et s'en revient trempé de la tête au pied. Le prête
ne s'est pas privé de nous asperger. Et c'est purifiées que
nous sommes rentrées à Addis
Il est difficile en quelques lignes de retracer tous les temps forts
de cette boucle de douze jours, tant l'Histoire de cette région est
grande. L'Abyssinie n'a pas fini de nous révéler ses richesses
historiques, religieuses et culturelles.
* Dernière nouvelle : Depuis le mois d'août 2008, l'obélisque
rendu est à nouveau dressé sur son emplacement d'origine.
Cette opération longue et délicate a été menée à bien
grâce à la coopération technique étroite entre
Italiens et Ethiopiens, et le soutien de l'UNESCO. L'inauguration a eu
lieu le 4 septembre 2008.
© Mireille Jeanjean le 24 décembre 2008
pour le Soleil de Québec  |
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Nations, nationalités, peuples du sud/ La basse vallée
de l'Omo
L'Ethiopie est une mosaïque
ethnique. La neuvième région
(Nations, nationalités, peuples du sud) regroupe une extraordinaire
diversité humaine. Découverte à la fin du XIXe
siècle,
elle est restée loin de la civilisation et a conservé ses
traditions ancestrales. Pour combien de temps encore ?
Arba Minch, porte
de la Basse Vallée de l'Omo.
C'est loin, très loin d'Addis-Abeba, on peut accéder
directement à Arba
Minch par avion, gagner un jour et perdre le plaisir d'admirer quelques-uns
des lacs qui s'échelonnent le long du grand rift africain. Bishoftu,
lac de cratère en pleine ville, Langano et ses eaux cuivrées,
seul lac de tout le pays dans lequel on peut se baigner, Ziway et Awasa
et leur multitude d'oiseaux. On ne compte plus les marabouts, les ibis
sacrés, les ombrettes qui viennent auprès des barques de
pêche arracher leur pitance. Le jacana semble marcher sur l'eau,
l'aigrette ardoisée fait son numéro de pêche, le jabiru
prend la pause sur une patte, son bec tricolore orienté soleil.
Quant au martin-pêcheur, en vol sur place au-dessus de l'eau, il
attend le moment propice. Et hop ! Il est déjà ressorti du
bain.
Complet dépaysement.
Passé Arba Minch, on est projeté dans
un autre monde, une autre époque. Difficile d'imaginer. Ici plus
de routes. Pas de structures touristiques. Nourriture, eau et carburant
embarqués. Camping sommaire,
hautement surveillé par des gardiens armés. La nuit, les
hyènes rigolent. Dès l'aube, calaos et singes colobes entament
leur raffut.
Des pistes plus ou moins praticables nous emmènent à travers
savanes et forêts, par-delà les collines et les plaines de
terres rouges, à la rencontre des Arboré, Tsemaï, Banna,
Dassanech, Mursi, Hamer, Konso. Une infime partie des nombreuses ethnies
que compte cette région.
Ces peuples n'entretiennent que peu de relations
entre eux et les querelles de voisinages sont fréquentes. Nous n'avons
pu rencontrer les Karo - passés maîtres dans l'art de la peinture
corporelle, dit-on - qui étaient en guerre contre une tribu voisine.
Les conflits, qui se réglaient autrefois à la lance, se
règlent
maintenant à la kalachnikov.
Pasteurs semi-nomades, pour la plupart,
ils sont soumis aux variations des saisons. A la saison des pluies, ils
cultivent un peu de millet et
de sorgho. A la saison sèche, les hommes suivent les troupeaux
vers des lieux plus propices. Ils se nourrissent de lait, parfois d'animaux
sauvages qui abondent dans les forêts. Des ruches en bois fixées
dans les arbres leur fournissent le miel.
Une structure ronde en bois
recouverte de chaume, voilà leurs huttes.
S'ils nous paraissent
démunis de l'essentiel, ils semblent très
attachés à l'esthétique : perles et cauris ornent
fronts, cous, oreilles..., d'imposants colliers de métal s'empilent
autour du cou, des bracelets de fer blanc enserrent bras, poignets, chevilles.
Les
hommes portent des tissus colorés dont ils se drapent le corps
ou s'entourent le bassin à la façon d'un pagne très
court. Mais il n'est pas rare de voir des T-shirts venus d'autres continents.
Placards publicitaires dont ils aiment se parer.
Les femmes, souvent torse
nu, portent des jupes, en peau de chèvre
ou de vache, serties de cauris, de perles métalliques, de broderies.
Des accessoires issus de notre société de consommation
viennent se mêler à ces bijoux ancestraux. Morceaux de bracelets
de montres sur le front des filles, épingles de nourrices en pendentifs,
anneaux de rideaux de douche aux oreilles des hommes, capsules de bouteille…
Les scarifications "ornent" la peau aussi bien des hommes que
des femmes. Souvent, des cailloux glissés sous la peau donnent
du relief à cet ornement indélébile. Signes de bravoure
pour les uns, croyances mystiques ou superstition pour les autres.
Si
ces modes de vie nous surprennent, les nôtres les étonnent
aussi. Ce jour-là une petite faim nous assaille en pleine brousse.
On installe le réchaud quand un groupe d'hommes et deux fillettes,
surgis de nulle part, nous abordent. Difficile de communiquer. Le chauffeur éthiopien
ne comprend pas leur dialecte. Nous offrons des mangues aux enfants et
des sourires à la ronde sans quitter des yeux leurs armes à feu.
Avant de manger, on se lave les mains. Sans eau, un gel fait l'affaire
et intéresse nos visiteurs. J'en mets une goutte dans la main
du chef. Non, pas dans la bouche ! Non, pas sur le visage ! Avec force
grimaces
je "dis" que ça sent mauvais, que ce n'est pas bon et
me frotte les mains. Il comprend, imite mes gestes, me remercie et s'éloigne
avec ses compagnons, non sans avoir goûté notre plat de
pâtes
lyophilisées.
Les Mursi
C'est dans le parc Mago que nous avons croisé les Mursi. La piste
se faufile au milieu d'une savane arborée d'acacias et de sycomores.
Il fait très chaud et sec et nous ne pouvons ouvrir les vitres de
la voiture sans laisser pénétrer des nuées d'énormes
mouches grises et gourmandes. Les fameuses mouches tsé-tsé !
La maladie du sommeil est éradiquée, dit-on, dans le sud
de l'Ethiopie. De cette végétation quasi impénétrable,
surgit un dik-dik, bondit un koudou, détale une famille de phacochères.
Des myriades de papillons blancs, jaunes ou bleus viennent boire dans les
flaques de la dernière pluie.
Au village mursi nous étions attendus. Le bruit du moteur a signalé notre
venue et un comité d'accueil était fin prêt pour les
séances de photos, rémunérées cela va sans
dire.
Les hommes, nus sous des pans d'étoffe colorée, sont les
derniers guerriers nus d'une époque révolue. Ils arborent
lances ou bâtons quand ce n'est pas le fusil.
Une simple pièce de cuir habille les femmes. Des femmes qui portent
le plateau d'argile inséré dans la lèvre inférieure.
Hommes et femmes rivalisent dans l'art de la décoration : végétaux,
plumes, cornes, défenses d'animaux et autres objets trouvent leur
place, autour du cou, sur la tête ou pendent aux oreilles.
Les Dassanetch Pour rencontrer cette tribu, il faut
rouler jusqu'au fleuve. De Turmi à Kelem
(Omorate), la piste traverse une large plaine arborée : acacias,
faux baobabs, buissons épineux, d'où émergent de gigantesques
termitières. De vraies cathédrales d'ocre, doigts géants
pointés vers le ciel.
Les animaux sont nombreux. Ils s'écartent tranquillement, se dissimulent
dans les fourrés d'où ils nous observent, à l'abri
des hautes herbes comme les francolins, les outardes et cette admirable
pintade vulturine au plumage mêlé de bleu cobalt, de noir
et de blanc. Les babouins, quant à eux, sautent sur le capot de
l'auto, tentent une entrée en force par les vitres entrouvertes.
Les voyageurs blancs transportent toujours de si bonnes choses !
A Omorate, c'est dans un simple tronc d'arbre évidé que nous
traversons le ruban ocre de l'Omo. Le batelier, armé de sa longue
perche, lutte habilement contre le courant. La rivière roule ici, à quelques
encablures de sa rencontre avec le lac Turkana, des eaux assez rapides.
Des gamins nous accompagnent à la nage dans l'eau boueuse réputée
pour ses crocodiles ! Sur l'autre rive, nous attendent les Dassanetch.
Les vieillards regroupés à l'entrée du village, palabrent.
Après avoir salué le chef et payé notre tribut, nous
pouvons visiter ce village de pasteurs nomades. Des huttes rudimentaires,
des greniers sur pilotis, des enclos d'épineux. Un vent violent,
chaud et sec, balaie l'étendue nue, à perte de vue. La poussière
vole, s'infiltre partout.
Les Hamer
Durant trois jours, nous avons côtoyé cette tribu de grands éleveurs
de zébus. Certainement les meilleurs souvenirs de ce voyage.
Les 42 000 âmes environ vivent sur un vaste territoire. Les femmes
se distinguent par leurs cheveux roulés en fines anglaises et enduits
d'un mélange d'ocre et de beurre. D'imposants colliers de fer blanc
entourent le cou des épouses. Celui de la première épouse,
fait de cuir et de fer, se superpose aux autres.
Les hommes aussi se parent avec un soin particulier : on ne compte plus
les colliers de perles, les bracelets, les anneaux de chevilles, les
boucles d'oreilles, les bagues. A cela s'ajoutent des coiffures sophistiquées
de cheveux savamment tressés, des jambes et bustes peints à l'image
de collants ou de gilets. Tous, quel qu'il soit, ne se séparent
jamais de leur appui-tête en bois qui leur sert, à l'occasion,
de petit siège.
Les hommes qui ont accompli un acte de bravoure portent des coiffures
très élaborées
: calotte rigide en argile colorée et rehaussée d'une plume
d'autruche ou d'un toupet de poil. C'est du solide semble-t-il me dire,
cet homme en tapant sur sa coiffe. Il aurait bien voulu ma chemise, je
lui ai donné une lime à ongle. La joie dans ses yeux fut
pour moi un cadeau bien plus beau.
Aujourd'hui, à Dimeka, les gens
arrivent de toute part. Ils viennent vendre et acheter. Certains ont
parcouru, plusieurs dizaines de kilomètres à pied
avant d'arriver. Un grand marché où l'on trouve de tout
: poteries, ocres, bois, fruits, céréales, beurre, bijoux...
Un peu avant midi, le marché bat son plein. La place restera animée
jusqu'au soir. Quant à nous, nous serons à quelques kilomètres
de là, à la cérémonie de l'oukouli.
L'oukouli,
passage à l'âge adulte
Cette cérémonie est un moment important de la tribu des
Hamer. Elle consiste à célébrer le passage à l'âge
adulte des garçons. Chance extraordinaire, un garçon d'un
village proche de Dimeka, doit se soumettre, en fin d'après-midi, à ce
rite ancestral bien particulier.
Notre obole versée, on nous conduit dans une boucle de l'oued. Un
grand troupeau de bœufs est rassemblé. Des femmes soufflent
dans des cornes, chantent, crient, sautent. Des anneaux de grelots fixés
sous leurs genoux rythment la danse. Brodés et incrustés
de perles, les pans de leurs jupes en peau de vache se balancent en cadence,
les colliers de fer et de cauris, les innombrables bracelets reflètent
les éclats du soleil couchant. Leurs peaux et leurs cheveux enduits
de beurre et d'ocre ne font qu'ajouter une touche douce à ce tableau.
Pourtant certaines brandissent des kalachnikovs, sans violence ni animosité.
Sous l'arbre centenaire, les hommes s'affairent aux dernières touches
de peinture. Du blanc, de l'ocre passés grossièrement au
doigt puis finement pointillés à l'aide d'une baguette. Les
visages se transforment, les bras et les jambes deviennent des tableaux.
Peintures d'un jour, décors éphémères, qu'ils
changeront demain, comme nous changeons de vêtements.
Les plus vieux, habillés avec soin, attendent assis sur leur repose-tête.
Personne ne semble faire attention à ces deux femmes blanches
venues en curieuses, assister à la fête. Même les
bébés,
sur le dos de leur mère, ne s'inquiètent pas de cette extravagance.
Au
milieu de ce défilé haut en couleur et en originalité se
distingue un jeune homme, vêtu d'une simple peau, le crâne à demi
rasé, le reste des cheveux ébouriffés. C'est lui
le héros de la journée. Bientôt il va être
initié par
les hommes du clan, à l'abri des regards.
Pendant ce temps, les
femmes provoquent les hommes. Le but est de se faire flageller afin d'encourager
le jeune à réussir les épreuves,
lui prouver leur attachement et leur affection, et pour montrer leur
capacité à endurer
la douleur. L'homme choisi s'empare d'une fine badine. Un sifflement
dans l'air et aussitôt le bruit sec de la tige flexible qui s'abat
sur le dos de la femme. Pas un sourcillement, pas une grimace, pas un
soupir.
La peau éclate, le sang perle. Et l'on recommence.
Soudain, le
jeune homme réapparaît, entièrement nu.
Il se dirige vers les bêtes : une quinzaine de bœufs maintenus
flanc contre flanc. Notre héros s'élance, saute sur l'échine
du premier animal, poursuit sa course de dos en dos, jusqu'à la
dernière bête et descend. Ce n'est pas fini, il doit effectuer
quatre aller-retour pour réussir l'épreuve. Il n'a pas
droit à l'erreur
sinon il sera fouetté par les femmes de sa famille et deviendra
la risée du clan tout au long de sa vie.
Ce jour-là ce fut un sans faute. Devenu homme, le vainqueur pourra
choisir celle qui deviendra sa femme.
Autres ethnies
Durant notre trajet, nous croisons de
jeunes Arborés, tout en
pointillés
de peinture blanche et ocre, la plume sur la tête, le bâton à la
main. Les filles portent d'innombrables colliers de perles. Un pagne
couvre leurs jambes, un tissu fin et soyeux est posé sur leur
tête
ou leurs épaules.
Nous saluons un couple de Banna en route pour
le marché. Leur bébé dort
dans le dos de la maman qui porte en collier une longue bande de sept
rangs de cauris et une calebasse en guise de chapeau. La tenue du papa
rappelle
celles des Hamer.
Les femmes Tsemaï, quant à elles, cachent
leur poitrine sous un triangle en peau, décolleté bateau
bordé de cauris.
La jupe des femmes mariées se termine en pointe rigide qui traîne
dans la poussière. Est-ce une façon pour le mari d'épier
les allées et venues de son épouse ?
Les Konso
Avant de refermer la boucle, un arrêt s'impose dans cette étonnante
région de Konso. Ici, pas de nomadisme. Les Konso sont des agriculteurs
sédentaires. Ils sont passés maîtres dans l'art de
la culture en terrasses et de la maîtrise de l'eau. Ils cultivent
le coton, le sorgho, le millet. Ce sont d'habiles tisserands comme le
prouvent les jupes des femmes : coton écru, épais, bordées
de bandes de couleurs ou rayées de teintes vives. Un rabat à la
taille forme un volant.
Les Konso ont une vie sociale et spirituelle bien structurée.
Afin de se protéger des coulées de boue ou des ennemis,
ils ont construit des villages fortifiés. Rien à voir avec
nos forteresses Moyenâgeuses.
Mackedie, entouré d'un mur de basalte savamment agencé et
surmonté de branchages croisés, illustre bien ce type de
construction. A l'intérieur, chaque famille dispose d'une concession
entourée elle aussi de murs et de branchages. Une grande case
pour l'habitation, avec un toit conique en chaume surmonté d'une
poterie et souvent d'un attribut signifiant la religion. D'autres huttes
servent
de greniers. Les poulaillers sont dressés sur pilotis. Une partie
de la cour est réservée au bétail.
Le long de la
clôture, est cultivé le moringa stenopetala.
Les feuilles de cet arbre, le fruit aussi parfois, entrent dans la préparation
de la dama, base de l'alimentation des konso.
Sur les places, sont érigés les mâts des générations,
en genévriers sacrés, ainsi que les dega hela (colonnes de
basalte) érigées à chaque victoire.
La mort de gens riches et importants est aussi soulignée par des
wakas (totems de bois).
Des cases communautaires, rappelant étrangement
les toguna du pays Dogon au Mali, accueillent, dès l'adolescence,
les jeunes gens pour la nuit.
Le pays Konso a son roi ou son chef. Un
titre, point de pouvoir. Un rôle
de liaison entre le peuple et les instances gouvernementales éthiopiennes.
Il vit à l'écart sur sa propriété à l'abri
de "remparts". Son "campement" est comparable à un
village. Le vieux chef est mort, il y a quatre ans environ, et c'est
son fils qui lui a succédé. Il était absent ce jour-là.
Un membre de sa famille nous a accueillies et fait visiter les lieux.
Avec lui nous sommes allées jusqu'au cimetière familial.
Waka, totems funéraires, monuments éphémères,
statues livrées aux intempéries et aux termites. Une tombe
récente,
au bout d'un sentier étroit dans l'enchevêtrement de la
végétation
du "bois sacré".
Chencha et les Dorzé
Retour à Arba Minch et à ses lacs jumeaux : Abaya en rose
et Chamo en bleu. Les crocodiles y pullulent, les hippopotames s'y prélassent.
Demain avant de reprendre la route vers Addis-abeba, nous ferons un détour
jusqu'à Chencha, perché à 3000 m d'altitude. C'est
là que vivent les Dorzé. Les hommes tissent en plein air,
sur des métiers d'un autre âge, les femmes filent, d'autres
sont potières. Chaque famille possède sa hutte et un peu
de terrain pour la culture de l'ensète. Cet arbuste aux airs de
bananier est l'arbre à tout faire : cordes, nattes, nourriture
pour le bétail et préparation du kocho. Les feuilles râpées
donne une pâte qui fermente plusieurs mois sous terre. La forte
odeur de fromage disparaît après cuisson en laissant un
goût
aigrelet. Il fallait y goûter.
Les huttes ne ressemblent à aucune
autre. Leur forme ogivale rappelle la tête des éléphants.
L'intérieur est vaste,
sombre, la hauteur sous plafond impressionnante. Des sortes de mezzanines
sont aménagées tout autour. Un coin, séparé par
une cloison, est réservé au bétail. La chaleur animale
permet de conserver une température relativement douce, même
la nuit à cette altitude.
On entre dans cette région avec
curiosité, on en ressort perplexe.
Peu à peu, avec la demande touristique, les pistes s'améliorent,
des structures d'accueil se développent : campings, chambres, restaurants
très rudimentaires pour quelques touristes peu exigeants. Le contact
avec la "civilisation" va-t-il rendre ces gens plus heureux ?
Ou accélérer la fin d'une diversité culturelle ?
© Mireille
Jeanjean le 10 décembre 2008 pour le Soleil de Québec
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